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veille, fallait-il l’exaspérer au point de risquer la guerre civile, peut-être la déchéance de Charles II ?

Sur l’avis de conseillers que préoccupaient avant tout la dignité du trône et l’intérêt de la monarchie, Marie-Anne d’Autriche semble avoir compris un moment ce danger. Valenzuela fut fait titulo de Castille, avec le titre de marquis de Villa-Sierra, et nommé ambassadeur à Venise : mesure excellente si, à l’inspiration de sagesse qui l’avait fait prendre, s’était unie la force d’en assurer l’exécution. Ici la prudence du favori parut au-dessous du sacrifice que faisait la reine. Si, avec la réserve, la modestie calculée de Mazarin, Valenzuela avait su s’effacer pour un temps, s’il avait eu la force, très rare il est vrai, de résister aux tentations de la fortune, peut-être serait-il parvenu, comme l’habile Italien, à consolider son pouvoir et à éviter le sort réservé aux ambitieux vulgaires. Mais Mazarin était Mazarin : il n’avait d’ailleurs nul goût pour le panache, n’étant pas né Andalous. Ce simple rapprochement fait ressortir la différence qui existe entre les deux hommes : comme la figure humaine que l’on place quelquefois au pied des pyramides en fait mieux saisir l’imposante grandeur.

Après avoir conféré avec le duc d’Albuquerque sur la conduite à tenir, Valenzuela reçut de ce due, son meilleur appui à la cour, le conseil de s’éloigner de Madrid, mais de ne pas quitter l’Espagne. Il échangea son ambassade de Venise contre le poste de capitaine-général du royaume de Grenade et partit pour Velez-Malaga ; mais il résidait le plus souvent à Grenade, entre le capitaine-général et la cour souveraine de cette ville s’élevèrent bientôt des questions d’attributions de pouvoir, d’où s’ensuivit un conflit. La cour se plaignit vivement à Madrid. Valenzuela se servit de ce prétexte pour rentrer dans la capitale, probablement de l’aveu de la reine. Il s’y tint caché pendant quelque temps. Mais l’époque du voyage annuel de la cour à Aranjuez étant venue, il reparut tout à coup dans cette résidence, à la grande joie de ses partisans. Ses ennemis, de leur côté, ne se réjouissaient pas moins de son retour, espérant qu’un tel acte de désobéissance à l’autorité royale serait le signal de sa perte, quand le bruit se répandit que, durant ce séjour à Aranjuez, le roi avait nommé Valenzuela gentilhomme de la chambre eh exercice. Ce bruit était vrai. Alors le duc de Medina-Celi, grand chambellan, entre les mains duquel le nouveau gentilhomme devait prêter serment, déclara se refuser à accomplir cette formalité. Le favori fut obligé, pour recevoir l’investiture de sa charge, de s’adresser, non sans humiliation, au prince de Astillano, gentilhomme ordinaire » lequel s’y prêta volontiers.

Ce fut le moment de l’apogée de la faveur de Valenzuela auprès des personnes royales. Charles II ne négligeait aucune occasion de