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se déclara à la messe du roi, le jour où le favori se présenta pour prendre sa place sur le banc de la grandesse. La plupart des grands se dispensèrent d’y assister. Le roi fut à peine accompagné de quelques dignitaires gagnés par des faveurs particulières, et les loyaux Espagnols constatèrent avec tristesse que la funcion avait eu lieu sans son éclat accoutumé.

Bientôt le mécontentement ne se déguisa plus. L’explosion en devint générale. Des railleries on passa aux propos insultans contre la reine. Les pamphlets, les pasquins, les caricatures se multiplièrent, sans être désavoués par leurs auteurs, qui étaient connus. Il convient de déclarer que Marie-Anne d’Autriche n’y répondit jamais que par le dédain, disant que son rang la mettait au-dessus de ces sortes de médisances. Dans le palais on entendait les courtisans s’écrier en se rencontrant : « Valenzuela grand d’Espagne ! ô tempora ! ô mores ! » Les mécontens tenaient publiquement des réunions que présidait don Diego de Velasco, agent déclaré de don Juan d’Autriche, et son ancien menin devenu chambellan. Les principaux membres de ces réunions séditieuses étaient les ducs d’Albe, d’Osuña et de Medina-Sidonia, On y voyait aussi parmi les plus ardens un moine de l’ordre des théatins, homme hardi et entreprenant, nommé Vintimiglia. D’une illustre maison de Sicile, il avait suivi en Espagne son frère, le comte de Prades, gouverneur de Palerme lors de la révolte de cette ville en 1647 et venu à Madrid pour se purger du crime de haute trahison. La cellule de ce religieux intrigant servait le plus souvent de lieu de réunion aux conjurés.

Le premier acte du premier ministre avait été la dissolution de la Junta general de gobierno, qui le gênait, en se fondant sur cette considération que, aux termes du testament de Philippe IV, les pouvoirs de ce conseil de régence expiraient à la majorité du roi. Valenzuela (il s’en fit plus tard un titre d’honneur) se proposait par cet acte audacieux, de rendre à Charles II la plénitude de son autorité, en le délivrant, disait-il, de cinq ou six vice-rois. Il est évident qu’il ne se proposait pas moins sans doute de se délivrer lui-même d’un contrôle importun. C’était une mesure des plus graves, dans tous les cas, mais particulièrement imprudente dans la situation suraiguë où il se trouvait. Les grands seigneurs qui composaient ce conseil, et qui jusqu’alors avaient observé une sorte de neutralité bienveillante, n’ayant plus de mesure à garder, allèrent naturellement grossir le parti de la protestation. On décida que pour l’honneur de l’Espagne il serait fait appel à l’épée de don Juan.

Tenu fidèlement au courant de ces révoltes de l’opinion, don Juan d’Autriche attendait patiemment à Saragosse l’effet des imprudences de la cour. Il suivait d’un œil assez calme la marche ascendante du