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permettre à l’Europe, avide de tranquillité et de paix, de se désintéresser d’un état de choses qu’elle a laissé se constituer contre le vœu d’une population de quinze cent mille âmes, moins respectée dans ses droits que les « infortunés » Bulgares ? Faut-il qu’Alsaciens et Lorrains fassent leur deuil de leurs espérances secrètes et qu’ils se considèrent comme irrévocablement sacrifiés à une politique qui a converti le principe, faux peut-être, mais assurément généreux, du droit des peuples de se grouper conformément à leurs affinités, en un système d’asservissement fondé sur de prétendues communautés de race ? Serait-il vrai que le droit des nationalités puisse, au gré du plus fort, devenir un devoir ? Ou bien, Lorrains et Alsaciens ne sont-ils pas plutôt autorisés à penser que leur calme obstination dans la résistance n’aura pas été tout à fait stérile, et que l’heure n’est peut-être pas loin où l’Europe, toujours inquiète et encore divisée, reconnaîtra que la paix ne pourra véritablement renaître et s’affermir tant qu’ils seront eux-mêmes retenus sous le joug, au cœur du monde civilisé, et tant qu’elle persistera, faute de pacifique entente, à laisser le champ libre à une politique égoïste, mauvaise et sans issue, qui n’a déjà produit que trop de détestables fruits ?

Il y a, ce nous semble, plus d’un enseignement à tirer de la question alsacienne ; nous essaierons d’en dégager quelques-uns, après avoir exposé le fonctionnement de l’organisation nouvelle et indiqué les résultats qu’il est permis à l’Allemagne et à l’Alsace-Lorraine d’en attendre.

I.

La nouvelle organisation politique introduite en Alsace-Lorraine depuis le 1er octobre 1879 offre tous les dehors d’un régime régulier de gouvernement constitutionnel et représentatif. Au sommet de la hiérarchie est placé un lieutenant impérial (telle est la signification exacte du titre de statthalter attribué à M. de Manteuffel), délégué direct de l’empereur, auquel il a seul à rendre compte de ses actes et qui lui a personnellement transmis la presque totalité de ses propres pouvoirs souverains, civils et militaires, dans le gouvernement de l’Alsace-Lorraine. Au-dessous du statthalter, l’administration responsable est représentée par un ministre secrétaire d’état, ayant pour auxiliaires quatre sous-secrétaires d’état entre lesquels sont répartis, groupés en autant de sections, les divers départemens ministériels. Latéralement, un conseil d’état est investi d’attributions analogues à celles que ce corps exerce suivant la législation française, à l’exception toutefois du contentieux administratif, qui reste dévolu à un corps spécial, existant