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de Law ressuscité. » Son esprit confus et mal équilibré le fait quelquefois prendre parti pour les mesures réactionnaires. Il est contre la vente des biens du clergé, et, comme le côté droit, il défend le droit des pauvres. Il est contre l’abolition des maîtrises et des jurandes, et demande des preuves de capacité : « Dans vingt ans, dit-il, on ne trouvera pas à Paris un ouvrier qui sache faire un chapeau ou une paire de souliers. » (17 mars 1791. ) Il va jusqu’à dire que « les ouvriers sans talens ne doivent jamais devenir maîtres. » D’un autre côté, il ne tarit pas en divagations déclamatoires contre les n sangsues du peuple » et les fripons qui « s’engraissent de ses sueurs et qui boivent son sang dans des coupes d’or. » — « Dieu des armées, s’écrie-t-il dans un mouvement d’éloquence sauvage, si jamais je désirais un instant me saisir de ton glaive, ce serait pour rétablir les saintes lois de la nature. »

Faut-il maintenant compter parmi les socialistes Chaumette pour avoir demandé que l’on plantât tous les jardins de Paris en pommes de terre et qu’on interdît la fabrication des pâtés parce que le peuple manquait de pain ? Devons-nous appeler socialiste la proposition qui fut faite à la convention d’un « carême révolutionnaire, » proposition appuyée par le boucher Legendre pour des raisons professionnelles, et qui demandait qu’on protégeât la viande de boucherie comme on protège le gibier, dans l’intérêt de la reproduction : « On mange, disait-il avec indignation, le père, la mère et l’enfant ! » ou encore la proposition d’un abonné dans le journal de Brissot, le Patriote, qui demande l’abolition des successions collatérales et l’exemption d’impôts sur le strict nécessaire[1] ; celle de Lequinio (Richesse de la république, 1792), qui demande que « les marais desséchés soient divisés entre les travailleurs ; » celle de La Vicomterie (la République sans impôts), qui demande la suppression de l’impôt forcé, les fonctions du gouvernement devant s’accomplir par des associations libres ? Ce sont là des rêves assez innocens. Mais on ne méconnaîtra pas les caractères du socialisme anarchique dans ces paroles de Chaumette : « Nous avons détruit les nobles et les capets ; il nous reste encore une aristocratie à renverser, celle des riches ; » ou dans ces paroles du Lyonnais Chalier, dont l’imagination exaltée et extravagante avait séduit Michelet[2] : « Riches insoucians qui ronflez sur l’oint réveillez-vous, secouez vos pavots ; la trompette sonne ! Aux armes ! Vous vous frottez les yeux, vous bâillez. Il vous en coûte de quitter cette couche parfumée, cet oreiller de roses ? — Est-ce un crime de goûter des plaisirs légitimes ? — Oui, tout plaisir est criminel

  1. Buchez, t. XXII, p. 319.
  2. Michelet, Histoire de la révolution, t. VI, p. 187. — Voir aussi sur Chalier. Mémoires sur Lyon, par l’abbé Guillon, p. 445.