Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Autriche, et pour tout dire, la détestent. Cette hostilité ne se dissipera que si elle s’efforce, par tous les moyens, de garantir aux provinces qu’elle occupe provisoirement, d’après le traité de Berlin, une liberté réelle et un développement national. De cette façon, — et seulement ainsi, — elle acquerra les sympathies de toute la péninsule. Il est impossible qu’elle ne finisse pas par comprendre son véritable intérêt. Il est donc désirable que la Bosnie-Herzégovine reste définitivement réunie à la Dalmatie et à la Croatie, avec laquelle elle forme une véritable unité ethnographique, géographique et économique.

Mais est-il à souhaiter que, comme le désirait lord Salisbury et comme ne le veut pas M. Gladstone, l’Autriche s’étende au-delà ? La question est plus complexe. Un premier point paraît hors de doute : il faut s’efforcer de rétablir l’unité de la Bulgarie, morcelée par le traité de Berlin, contrairement à tous les droits, à tous les intérêts et à toutes les traditions. Seulement quel sera après l’avenir réservé à cette principauté ? A en croire sir George Campbell, cet avenir est assuré, et nul témoignage ne mérite plus de confiance, car sir George connaît à fond toute l’Europe, et dans les hautes fonctions qu’il a occupées longtemps aux Indes, il a pu comparer la valeur relative des races orientales. Les Bulgares forment un groupe compact de 5 à 6 millions d’âmes occupant des deux côtés de Balkans un des plus beaux pays de l’Europe. Le bois, la houille, le minerai, les textiles de toute espèce favoriseront le développement de l’industrie. Le sol est fertile. Les vastes plaines qui bordent le Danube et les vallées de la Maritza, du Vardar et de la Struma sont d’une fécondité merveilleuse. Les pâturages ne manquent pas et le bétail y abonde. Les céréales, la vigne, le mûrier, les champs de roses livrent des produits exceptionnels. D’après M. Barkley, ingénieur des chemins de fer[1], le Bulgare est un travailleur incomparable. Il cultive infiniment mieux, avec plus de soin et d’intelligence qu’aucune des autres races de l’Europe orientale. Près de Bucharest, ce sont des Bulgares qui viennent au printemps semer et récolter tous les légumes qu’on y trouve, et l’hiver ils repassent le Danube. En Roumanie, on les recherche de préférence comme ouvriers parce qu’ils sont sobres, laborieux, attentifs, intelligens et obéissans. Leurs qualités morales sont reconnues par tous les voyageurs et les consuls. Leurs voisins, les Serbes surtout, les accusaient de manquer de courage et d’énergie, parce qu’ils ne se soulevaient jamais contre les musulmans ; mais les milices organisées par les Russes, qui ont pris part à la dernière guerre, ont déployé

  1. Between the Danube and the Black Sea, by H. C. Barkley, civil engineer.