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un de ces désastres qu’un peuple n’oublie jamais s’il a du cœur, et dont il souffre tant qu’il ne l’a pas réparé, il semblait que, devant l’étranger vainqueur et toujours menaçant, la grande famille française ne dût avoir qu’un souvenir, une passion, une œuvre à poursuivre en commun : le souvenir de son malheur, la passion de son honneur, l’œuvre de sa régénération. La France l’espérait ; l’Europe sympathique l’attendait. Quand l’assemblée nationale se mit à l’œuvre, sous la présidence du grand patriote que la France a plus que jamais peut-être l’occasion de regretter, tous les partis acceptèrent sans hésiter la trêve qu’il leur proposa. L’empire qui n’a pas trouvé de défenseurs contre la révolution de septembre, avait laissé de trop rares regrets dans l’assemblée et dans le pays pour que la proclamation parlementaire de sa déchéance pût provoquer une protestation sérieuse. Quant aux autres partis, républicains ou monarchiques, ils s’oubliaient pour le moment dans l’unique préoccupation de l’œuvre nationale. Lorsque le jour vint de donner à ce pays si éprouvé et si troublé un gouvernement définitif, la lutte reprit entre les partis. Comment allait-on sortir du provisoire ? Serait-ce par la république ou par la monarchie ? C’était le droit et le devoir de chaque parti de chercher par les voies légales à faire prévaloir sa solution. Il n’y avait point à s’irriter des sympathies et des espérances des amis de la monarchie traditionnelle. Il y avait simplement à leur demander si ce n’était pas, une bien téméraire entreprise que celle de rétablir cette monarchie sans être bien assurés que le pays ratifierait leur choix, et s’il n’était pas plus sage d’en appeler à une véritable assemblée constituante ? Toujours est-il que l’assemblée nationale finit par user du pouvoir constituant à la complète satisfaction du parti républicain. Elle lui rendit même, selon nous, un grand service, en établissant la république sur une constitution qui contenait à peu près toutes les garanties du régime parlementaire.

Devant un dénoûment aussi heureux et aussi inespéré de la crise qui avait tant ému et inquiété le parti républicain, il semblait que toutes les colères et toutes les défiances dussent tomber, et que, sur le terrain de la constitution, les partis n’eussent plus autre chose à faire qu’à reprendre la situation et le rôle des partis parlementaires qui, dans d’autres pays, se disputent le pouvoir, sous les noms de whigs et de tories, de libéraux et d’autoritaires, de conservateurs et de radicaux. Le premier ministère qui reçut la mission de gouverner, sous la république constitutionnelle, essaya de circonscrire, dans les élections, la lutte entre la politique conservatrice et la politique radicale. Il n’y réussit point. Le pays, qui voyait avec méfiance d’anciens monarchistes en grand nombre dans le camp conservateur, n’entendit que le mot d’ordre du parti