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l’histoire d’un mot jusqu’à ses premières origines, au-delà même de ses origines, pourrait-on dire, puisqu’il existe aujourd’hui de véritables dictionnaires de la langue des Aryas primitifs, c’est-à-dire de la langue préhistorique parlée par nos ancêtres quand ils habitaient encore les plaines de la Bactriane. On a même poussé plus loin, puisqu’on a prétendu restituer non-seulement leur langue, mais encore leur histoire. Et personne, je crois, n’a oublié cet ingénieux Essai du paléontologie linguistique auquel M. Pictet a attaché son nom. Je sais bien des érudits qui ne sont guère favorables à ces tentatives un peu hardies, qu’ils trouvent surtout prématurées. Ils nous permettront une observation : c’est que, s’il ne faut pas vouloir à tout prix que l’érudition soit amusante, il ne faut pas non plus vouloir lui donner un aspect impitoyablement rébarbatif. Les érudits se plaignent parfois de l’indifférence du public, et si l’on juge au fond, on doit convenir que presque toujours ils ont raison de se plaindre. Mais c’est bien aussi quelquefois leur faute et leur très grande faute. Rien de mieux que de se défier des généralisations hâtives. Si l’on veut cependant que le public s’intéresse aux études orientales, j’entends le public éclairé, le public déjà lettré, sans doute il ne faut lui faire aucune concession, mais il faut au moins lui faire pressentir à quelles conclusions tendent tous ces travaux, vers quel but toute cette activité se dirige, ce qu’il y a d’universellement humain enfin dans ces recherches qui paraissent concentrées sur l’inutile et le rebutant. On l’a peut-être oublié trop souvent depuis que nous sommes sortis de ces années heureuses que M. Renan appelait « l’âge héroïque des études orientales. » En matière d’érudition comme de science, il n’y a de bonne monographie que celle qui déborde son sujet et qui conclut au-delà de ses prémisses. On aura beau dire, on aura beau faire : rien ne vaudra jamais que par les idées générales. Nous craignons qu’aujourd’hui l’érudition ne croie trop à la valeur des faits accumulés et trop peu à la valeur des faits interprétés. Nous ne prendrons pas sur nous, en pareille matière, d’affirmer trop catégoriquement, mais nous craignons que la grammaire comparée, depuis plusieurs années déjà, n’ait dégénéré de ses ambitions d’autrefois, et nous en sommes fâché pour elle.

Une autre science encore, née du développement des études orientales, c’est la science des religions. On comprend aisément qu’il n’en soit guère de plus intéressante ; on comprend plus aisément encore qu’il n’y en ait guère dont les principes soient moins assurés. Aussi, c’est une chose bien curieuse de voir comme quoi de certains érudits qui se piquent, en matière de grammaire comparée, non pas même de prudence, mais positivement d’étroitesse d’esprit, se lancent vers les hauteurs, s’égarent dans les systèmes et se perdent dans les théories quand ils abordent la science des religions ou seulement la mythologie comparée. Je n’ai pas de raison pour vous dissimuler davantage que je pense à M. Max Muller. Ce qu’on ne peut nier toutefois, c’est que dans l’état