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ne fallait-il pas des yeux pour veiller, des bras pour aider au succès de l’œuvre suprême ? On peut convenir que le zèle fut parfois fanatique, l’activité fébrile, la vigilance inquiète et tracassière, la défiance cruelle. Il n’en reste pas moins difficile de comprendre comment la convention eût pu être autrement obéie et servie avec cette promptitude et cette précision qui ont assuré l’accomplissement de ses volontés, en tout ce qui touchait aux grands intérêts du pays. Quant aux crimes de la terreur, c’est sur le comité de salut public, sur la commune de Paris, sur les meneurs des faubourgs, sur la convention elle-même, plus, coupable de faiblesse que de violence, qu’en retombe la responsabilité, bien plus que sur ces honnêtes et patriotes jacobins de province qui n’ont vu que la patrie et la révolution à défendre, dans le concours qu’ils ont prêté au gouvernement de la convention.

Deux espèces de révolutionnaires, ayant chacune son esprit, son tempérament, sa pratique de gouvernement, ont été les acteurs de ce terrible drame, les montagnards et les purs jacobins, ceux-ci plus doctrinaires, ceux-là plus patriotes. Deux hommes qui ont joué les premiers rôles, Danton et Robespierre, en furent les types les plus accentués. Danton fut l’homme d’action, d’audacieuse initiative, d’improvisation violente. Le théâtre de son activité fut encore plus la place publique que la convention. La nature l’avait plus fait pour remuer les foules que pour diriger les partis. C’est dans les grandes agitations populaires qu’il montrait sa force et sa puissance plutôt que dans les grands débats parlementaires. A la convention, il fit plus de motions que de discours ; il lança plus d’apostrophes qu’il ne composa de harangues. Il lui fallait de véritables tempêtes dans le parlement pour provoquer son initiative endormie par les longues discussions. C’est alors que Danton se retrouvait tout entier dans la furieuse mêlée où dominait sa voix formidable. On ne peut dire qu’il fût beau dans sa laideur, comme Mirabeau. Le crayon de David, un jour qu’il le prit sur le fait, en fit une figure qu’on ne peut regarder sans pâlir. Il eut d’affreux momens de délire révolutionnaire où il fit et laissa tout faire contre la justice et l’humanité. Du reste, humain et bon au fond, ami tendre et dévoué, facile et joyeux compagnon, tout aux affections de la famille, où il oubliait ses passions de parti. Quand la haine d’un rival qui n’oubliait jamais vint le chercher dans sa retraite, elle le trouva profondément dégoûté de la politique de sang et désarmé par un irrésistible besoin de repos et de clémence. Le lion ne se réveilla que devant ce tribunal de mort où ses rugissemens firent tressaillir la foule et trembler les juges.

Robespierre, au contraire, fut l’homme de la doctrine, sans