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deux passions dominantes, l’amour de la révolution et l’amour de la patrie. A l’origine de la grande société, on ne leur en voit guère d’autres. Les premiers jacobins qui fondèrent le club des Amis de la Constitution étaient d’ardens amis de la liberté, qui prirent plus tard le nom de l’ancien couvent où ils tenaient leurs séances. C’est seulement quand l’émigration eut commencé, quand la Vendée se leva, quand l’étranger entra en France, que le véritable esprit jacobin éclata tout à coup sous l’impression de ces événemens. Que l’émigration, la guerre civile et la guerre étrangère aient été provoquées par les excès du parti de la révolution, c’est un point sur lequel les avis diffèrent encore. Ce qui n’est pas contestable, c’est l’extrême gravité de la situation. En peu de mois, la révolution changea de caractère. La peur prit les faibles ; la colère saisit les violens. La grande voix du salut public fit taire toutes les voix qui pouvaient protester au nom de la liberté, de la justice, de la conscience, de l’humanité. La convention nationale, chauffée à blanc par les ardentes passions des partis, devint une fournaise où tous ont vu rouge, où la peur a livré à la fureur les plus innocentes, les plus nobles, les plus touchantes victimes. On déclara la patrie en danger ; on cria mort aux traîtres. Il y eut de grands, d’abominables crimes qui nous font horreur, mais que l’on ne peut bien juger qu’en les voyant à travers les circonstances où ils furent commis. C’est alors que le patriotisme devint féroce, que le dogmatisme républicain devint intolérant. C’est alors quelle parti de la révolution devint ombrageux, défiant, inquisiteur, voyant et dénonçant partout des traîtres autour de lui et dans son sein. C’est le moment du vrai jacobinisme, qui domina bientôt toutes les fractions du parti révolutionnaire, absorba toutes les sociétés de salut public, couvrit la France entière de clubs affiliés à la société jacobine de Paris.

Notre politique, que nous n’avons jamais séparée de notre morale, ne croit point à la nécessité du crime. Nous ne pensons donc pas que la révolution ait eu besoin de la terreur et de l’échafaud pour triompher de ses ennemis du dehors et du dedans. La grande âme de la France y suffisait, prompte à tout effort, prête à tout sacrifice, dès qu’il s’agissait de liberté, de justice, de l’honneur et du salut de la patrie. Mais en un moment où il ne restait plus rien des institutions de l’ancien régime, où toute hiérarchie, toute administration, toute autorité locale avait disparu, n’est-ce point justice de reconnaître que le zèle, l’activité, le dévoûment de cette société passionnée pour la chose publique ne furent point inutiles pour l’exécution des décrets d’une assemblée qui avait concentré en elle tous les pouvoirs, et réuni toutes les attributions ? À cette tête tout occupée du grand but et des moyens sommaires de son œuvre,