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politique n’avait plus de raison d’être. Ce fut un jacobinisme de circonstance ; il ne devait pas survivre aux événemens qui l’ont fait éclore. Il s’est énervé dans la corruption du directoire, ou s’est aplati devant le despotisme impérial. On s’est étonné de voir trop de ces farouches jacobins parmi les fonctionnaires ou les dignitaires du consulat et de l’empire. Sans parler des intrigans et des courtisans qui se rencontrent partout pour profiter des faveurs du gouvernement nouveau, on doit reconnaître parmi les anciens jacobins ralliés à l’empire plus d’un patriote et plus d’un révolutionnaire qui n’ont pas vu avec trop de déplaisir un régime donnant au pays, en même temps que la gloire, la sécurité extérieure et intérieure pour les conquêtes de la révolution. La liberté manquait, il est vrai ; mais cette race d’hommes qui avaient fait ou subi la terreur ne l’a peut-être pas regrettée autant qu’on a pu le croire. Et, par parenthèse, n’est-ce pas ainsi qu’on pourrait expliquer la molle et passive attitude de nos populations devant l’invasion de 1870 ? Elles étaient pauvres en 92, et elles avaient une révolution à défendre. Elles jouissaient des bienfaits de cette révolution en 70, et elles n’avaient que la patrie à sauver. La France est restée riche après sa défaite, et l’Allemagne pauvre après sa victoire. Cette revanche, dont beaucoup de nos pacifiques jacobins semblent satisfaits, eût-elle suffi à leurs pères ?


II

C’est dans les circonstances où l’on pouvait le moins s’y attendre que cette race semble sortir du tombeau pour reparaître avec ses colères, ses haines, ses défiances, toutes ses passions de guerre, au moins apparentes. Où est la Vendée à dompter ? où est l’étranger à repousser ? où sont les émigrés à proscrire, les traîtres à surveiller et à punir ? La patrie est-elle en danger ? avons-nous encore une révolution à faire ? où sont les hommes d’action qui la déchaînent et les hommes de doctrine qui la dirigent ? La république n’est-elle pas en paix avec tous nos voisins, presque en amitié avec le voisin qui garde nos provinces conquises ? où est l’ennemi ? « Comment ! où est l’ennemi ? nous dit-on. C’est parce que vous ne regardez que la frontière que vous ne le voyez pas. L’ennemi, c’est le jésuite, le prêtre, le fonctionnaire, le monarchiste. Ce monde d’ordres religieux que vous croyez uniquement occupé à prier, à enseigner, à soigner les malades, à consoler les affligés, il conspire dans les retraites où il se lient caché. Cette classe de fonctionnaires de tout ordre et de tout rang qui vous paraît absorbée dans sa besogne de bureau ou dans son