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mêmes besoins, mais dont le plan et l’exécution lui appartiendraient en propre ?

La réponse est facile : l’Orient n’a été découvert qu’après la mort d’Ottfried Muller, Par ce terme nous désignons cette partie de l’Afrique et de l’Asie que baignent les flots de la Méditerranée ou qui est assez rapprochée de cette mer pour avoir été en relations constantes avec ses rivages ; nous pensons à l’Égypte, à la Phénicie syrienne et à sa grande colonie de la côte libyenne, à la Chaldée et à l’Assyrie, à l’Asie-Mineure, à ces îles de Cypre et de Rhodes qui ont été si longtemps dans une étroite dépendance des empires maîtres du continent voisin. Ce fut entre 1820 et 1830 que naquirent et que s’arrêtèrent dans l’esprit du jeune savant les idées qu’il a développées dans ses ouvrages ; c’est alors qu’il prit hautement parti dans la discussion qui s’était depuis longtemps engagée entre les érudits au sujet des origines de la Grèce. Dans la naissance et le développement de la religion, des arts, de la poésie et de la science grecque, quelle part convient-il de faire aux élémens étrangers, aux exemples de ceux qui avaient de si loin précédé la Grèce dans les voies de la vie policée ? Cette part, nul historien ne l’a faite plus faible et plus restreinte qu’Ottfried Muller ; nul n’a plus résolument insisté sur l’originalité du génie grec et n’a plus incliné à croire que la race hellénique avait tiré de son propre fonds tout ou presque tout ce qui a fait sa grandeur ou sa gloire.

Lorsque Ottfried Muller s’est mis à sonder ce problème, l’Égypte seule commençait à sortir de l’ombre qui enveloppait encore toute l’antique civilisation de l’Orient, et, pendant sa trop courte vie, il n’a pas vu se produire dans ce domaine une de ces découvertes qui n’auraient pu manquer de frapper un esprit aussi curieux et ouvert. C’est seulement trois ans après la mort d’Ottfried Muller que Botta commençait à exhumer les monumens de l’art assyrien ; on n’avait, sur les ruines de la Chaldée et de la Perse, que des renseignemens vagues et confus. Aujourd’hui nous suivons à travers la Méditerranée, des colonnes d’Hercule au Bosphore de Thrace, le sillage des navires phéniciens. Partout où ils ont abordé, les mains pleines des produits de leurs ateliers, les Phéniciens ont laissé tomber quelques-uns de ces objets que leurs cités laborieuses façonnaient pour l’exportation. Maintenant on ramasse ces débris ; on reconnaît la marque de fabrique des artisans de Sidon ou de Carthage, et l’on sait ainsi quels étaient les procédés industriels qui, « par les chemins humides de la mer, » comme dit le poète, arrivaient jusqu’aux Grecs, aux Italiotes et aux Étrusques ; d’après les traces que ce commerce a comme imprimées dans le sol sur tel ou tel point, on évalue la durée du séjour qu’ils ont fait dans chacune des contrées qu’ils visitaient et la mesure de l’influence qu’ils