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l’effet de l’égoïsme et la source de toutes les haines et de toutes les guerres qui se partagent les états. La première de ces maximes a passé directement de Mably à Robespierre et à Saint-Just ; la seconde, à Babeuf. Nous n’avons pas à nous occuper ici de la première de ces doctrines ; résumons seulement les points principaux de la seconde.

Dans son livre sur l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767), un B économiste célèbre de l’école de Quesnay, Mercier de la Rivière, avait essayé de donner la démonstration de la propriété foncière individuelle. Il s’était appuyé sur cet argument : « Je suis maître de ma personne ; j’ai le droit de pourvoir à ma subsistance ; donc il est juste que j’aie une propriété foncière. » Mably répondit par ses Doutes aux économistes (1768), où il discuta la valeur de la démonstration précédente. Suivant lui, cet argument ne serait valable que s’il était démontré que la propriété foncière est pour chacun de nous le seul moyen de subsister. Sans doute, si je consens à travailler pour la société, il faut qu’elle se charge de ma subsistance ; mais « qu’elle se charge de ce soin, en laissant les choses en commun ou en partageant le domaine public entre les citoyens, c’est la chose du monde la plus indifférente. » Mercier de la Rivière avait dit que la société forme « un ensemble parfait composé de différentes parties qui sont toutes nécessaires les unes aux autres. » Mably répond : « Il faut être bien sûr de son adresse à manier des sophismes pour oser se flatter qu’on persuadera à un manœuvre qui n’a que son industrie pour vivre, qu’il est dans le meilleur état possible, que c’est bien fait qu’il y ait de grands propriétaires qui aient tout envahi, » et il ajoutait : « Pourquoi voulez-vous que je sois content en me voyant destiné au plat rôle de pauvre, tandis que d’autres, je ne sais pourquoi, font le rôle important du riche ? »

Dans un autre de ses ouvrages, Législation ou Principes des lois (1776), Mably ne se contente plus de répondre à des argumens : il attaque directement la propriété elle-même. Il y soutient : 1° que l’inégalité des richesses est la source de toutes les autres ; 2° que les hommes, sortant des mains de la nature, sont tous semblables, tous égaux. Sur le premier point, il prouve comme le faisaient Platon et Aristote, que l’unique cause de toutes les révolutions est dans l’inégalité des propriétés. Les pauvres furent obligés de vendre leurs services et les riches usurpèrent l’autorité publique : les pauvres se soulevèrent ; de là les dissentimens et les guerres civiles qui déchirent les républiques. D’ailleurs pourquoi ces inégalités ? Tous les hommes ne sont-ils pas naturellement identiques ? la nature, ne nous a-t-elle pas donné à tous les mêmes besoins, la même raison ? les biens de la terre ne leur appartiennent-ils pas en commun ?