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le temps où ce sera une injure de dire à quelqu’un : « Tu es jacobin. »

On voit par toutes ces citations que Babeuf s’exprimait d’abord sur le compte de Robespierre et des jacobins exactement de la même manière que le faisaient alors tous les modérés, heureux d’avoir échappé à une si terrible tyrannie ; mais il ne faut pas se laisser prendre aux apparences. N’oublions pas que le 9 thermidor n’a réussi que par la coalition contre Robespierre des partis extrêmes et des partis modérés. Ce sont les plus compromis dans la révolution qui l’ont frappé, et si les idées de clémence et d’humanité ont triomphé par sa chute, c’est que le terrorisme avait fini par se personnifier en lui : il était lui-même tout le système, nul n’eût pu le continuer après lui. Il n’est pas moins vrai que dans les imprécations contre Robespierre deux courans étaient mêlés : d’un côté les amis des girondins, de l’autre les amis d’Hébert et de Danton. À quel camp appartenait Babeuf, même dès cette époque ? Tout nous porte à croire qu’il appartenait déjà au parti le plus ardent de la révolution, à celui que Robespierre lui-même avait frappé comme anarchique et subversif, au parti hébertiste. Plusieurs faits autorisent cette conjecture. Les dénonciations dont il s’était fait l’organe et pour lesquelles il avait été arrêté, avaient été accueillies avec faveur par les sections, c’est-à-dire par les révolutionnaires extrêmes. Ce qu’il reproche le plus à Robespierre, c’est la suppression de la constitution de 93. Il maudit ce système, qui veut que, « pour jouir de la liberté, on commence par être esclave, » et qui croyait nécessaire au salut de la patrie que le peuple se dépouillât lui-même de « sa souveraineté. » Si Robespierre est son ennemi, Marat est son idole : « Marat et Loustalot, dit-il, étaient de ces hommes qui voient toujours six mois avant les autres. » Il se met sur la même ligne : « il est digne de leur succéder ; » et ne se contentant pas de cette allusion discrète, il disait hardiment : « J’ai hérité du courage et de la bonne vue de Marat. » Il écrivait au Club électoral : « Si je n’ai pas les talens de Marat, j’ai son feu et son dévouement. » Qu’était-ce que ce club électoral qui avait été dissous sous Robespierre et qui s’était reformé au 9 thermidor ? C’était probablement un club hébertiste. Les jacobins lui étaient très opposés. Il avait adressé une pétition à la convention, dont le rédacteur était Bodson, l’un des futurs complices, de Babeuf. Le club demandait le retour aux droits de l’homme et la liberté illimitée de la presse. Billaud-Varenne l’accusait d’hébertisme. Babeuf répond mollement à cette imputation. Il défendait également dans son journal une autre pétition qui était appelée « pétition du Muséum ; » elle demandait l’élection des magistrats par le peuple, le retour à la constitution de 93 : on y trouve une apologie de la commune de Paris, « sans laquelle, est-il dit, aucune des grandes révolutions de