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Nous ayons vu que son premier écrit, vanté par Marat, demandait l’abolition des impôts et le partage des biens communaux. Dans un autre écrit, publié après le 9 thermidor, et que nous avons déjà cité, le Système de dépopulation, il présentait quelques-uns des principes du communisme. Tout en maudissant le système exterminateur de Robespierre, il lui prêtait cependant ses propres idées sociales, qu’il résumait dans cette maxime de Jean-Jacques Rousseau : « Il faut que tous les citoyens aient quelque chose, et qu’aucun d’eux n’ait rien de « trop. » C’est ce qu’il appelait « l’élixir du Contrat social. » Il attribuait à Robespierre la pensée anticipée de son propre système. Celui-ci se serait dit. que, tant que la majorité du peuple français ne posséderait rien, l’égalité ne serait qu’un vain mot, et que la majorité serait toujours l’esclave de la minorité. Les privilèges ne seraient détruits que si toutes les propriétés étaient ramenées entre les mains du gouvernement. Pour arriver à ce but, il fallait immoler tous les grands propriétaires et effrayer les autres ; et même la population étant encore trop considérable pour que le partage fût productif, il fallait sacrifier les sans-culottes en assez grand nombre pour que les autres pussent jouir en toute sécurité. C’est ce que Babeuf appelle « le système de dépopulation. » La terreur aurait donc été, suivant lui, une sorte de malthusianisme anticipé. Elle avait eu pour but de proportionner la population aux subsistances. Tel était le sens « des guillotinades, des foudroyades et noyades » de la convention. Babeuf condamnait les moyens ; mais il approuvait le but. Il soutenait que « le sol d’un état doit assurer l’existence à tous les membres de cet état, » il demandait que « moyennant travail, on garantît le nécessaire à tous, » il demandait aux riches « de s’exécuter eux-mêmes ; » autrement « le peuple, devenu dévorant, éclate et renverse tout. » Rien de tout cela cependant, quelque menaçante qu’en fût l’expression, ne nous paraît encore dépasser cette espèce de socialisme vague et diffus que nous avons rencontrée chez presque tous les révolutionnaires. Bientôt nous l’avons vu, Babeuf jette le masque ; il attaque la convention ; il est de nouveau arrêté à la suite des journées de prairial, conduit à Arras, puis transféré à Paris dans la prison du Plessis. On dit que ce fut là qu’il noua les premiers fils de sa conspiration future et que se formèrent définitivement ses théories sous leur forme systématique, soit qu’il les ait communiquées aux autres prisonniers, soit qu’il les ait reçues au contraire de l’un d’entre eux, devenu son ami et plus tard son complice, un nommé Bodson, qui, dit Buonarotti, « avait mieux que personne saisi les vues profondes de Robespierre. » Après les journées de vendémiaire, Babeuf fut délivré de sa prison par l’amnistie