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adieux, et quel est le cœur qui veut épargner des regrets à ce qu’il a de plus cher ? On cherche à consoler tous ses autres amis, mais désirer d’être moins aimée de l’objet d’une affection passionnée ! C’est la seule fois qu’on soit personnelle dans un sentiment dont le premier effet est de transporter son existence dans celle de ce qu’on aime. Je hais aussi cette maudite maladie parce qu’elle défigure ; on ne pourrait plus sur son visage peindre sa pensée, attacher ses yeux éteins sur ce qu’on auroit le plus aimé, les ranimer du feu de son âme, conserver l’expression de la tendresse au milieu des angoisses de la mort, quand la parole manqueroit se servir encore de ses regards, et quand les yeux se fermeroient placer sur son cœur la main de ce qu’on adore pour le faire jouir encore de ces derniers battemens. Qu’il seroit horrible d’emporter en expirant la terreur d’avoir communiqué à ce qu’on aime le poison qui vient de vous consumer ; l’on veut qu’il pleure, mais qu’il vive ; ce n’est pas mourir que de laisser sur la terre des objets de sa tendresse : c’est échapper à l’anéantissement, et dans nos derniers momens mêmes la perspective de la mort de ce qui nous est cher conserve encore toute son horreur.


Ce fut peu de temps après le moment où son affection pour son père se traduisait d’une façon si touchante que fut conclu le mariage de Germaine Necker avec le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède à Paris. Je n’ai point à revenir ici sur les négociations assez longues qui ont précédé ce mariage, M. Geffroy en ayant fait ici même l’objet d’une étude très intéressante[1]. Il me semble cependant que mon savant collaborateur a été dans son travail un peu injuste pour M. et pour Mme Necker. Il s’étonne et s’indigne presque qu’au moment ou M. de Staël, encore simple attaché à la légation de Suède, sollicita pour la première fois la main de Mlle Necker, M. Necker ait d’abord écarté ces ouvertures et qu’il ait attendu pour les écouter, d’avoir reçu l’assurance que Gustave III consentirait à nommer M. de Staël ambassadeur à Paris. Tout résignés que M. et Mme Necker fussent à donner en mariage à un étranger leur fille unique et chérie, il est cependant assez naturel qu’ils aient voulu se ménager l’espoir de la conserver auprès d’eux, et lorsque directement informés de l’extrême intérêt politique que Gustave III prenait à ce mariage, ils demandaient au roi d’accorder, comme gage de cet intérêt, le rang d’ambassadeur à M. de Staël, qui en faisait déjà les fonctions, ils favorisaient l’avenir du jeune ménage en même temps qu’ils assuraient le séjour de leur fille en France. M. Geffroy s’étonne également que Gustave III ait consenti à nommer M. de Staël son ambassadeur à vie, ou à payer comme dédit une pension de 25,000 francs par an. Sur ce point, M. Geffroy aurait

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1865.