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temps qu’il travaille pour la société nouvelle que Richelieu et Louis XIV tiraient peu à peu du chaos du moyen âge, en même temps qu’au profit du présent il interroge le passé, les lois romaines et les coutumes, les soumet les unes et les autres aux principes éternels de la justice et à l’esprit du christianisme. Ainsi Domat croit aux principes éternels de la justice. Il admet la raison à côté de la morale évangélique. D’Aguesseau, lui aussi, croit, indépendamment de la religion positive, à l’idée du droit, à la conscience du genre humain ; pénétré de ces hautes idées de justice primordiale, il réfute dans ses lettres son ami janséniste, M. de Valincour, qui refusait à la raison de l’homme, sans la grâce, cette idée de la justice. N’est-ce pas un grand honneur pour notre savant et judicieux contemporain que de pareils noms et de pareils modèles puissent être rappelés à son propos ? Je n’hésite pas à dire que, par l’application des principes philosophiques, il est leur continuateur, et non pas du tout leur copiste ; car ces principes, il les produit et les commente sous les formes renouvelées que notre temps comporte. Si on lit le préambule et plusieurs chapitres entiers, insérés dans son principal ouvrage, on en sera frappé. Cela est visible dans les principes, à quelques égards communs, qu’il assigne à l’économie politique et au droit dans des vérités générales toutes philosophiques, sans préjudice des vues que la science économique lui fournit pour éclaircir, compléter et souvent rectifier certaines solutions juridiques. Je dois être bref sur ces différens points, je ne saurais les omettre entièrement sans manquer au titre même à cette étude.

Il n’est pas douteux que la révolution de 1848, avec ses tendances socialistes, n’ait fait une profonde impression sur l’esprit de M. Renouard ; mais rien ne serait plus faux que d’attribuer à ses idées de philosophie générale un caractère de circonstance. Elles s’étaient formées à une époque bien antérieure aux événemens politiques. Il les avait puisées dans ses convictions réfléchies, formées sous l’influence de ce fonds de spiritualisme très ancien, mais à certains égards nouveau, des Royer-Collard, des Maine de Biran, des Victor Cousin. M. Renouard admet que l’économie politique ait son département à elle et pour ainsi dire son autonomie qui lui assure sa place indépendante de toute doctrine antérieure et supérieure ; il ne croit pas pourtant qu’elle se suffise absolument, ni qu’elle puisse résoudre les questions à elle seule. La prétention de certains économistes à se passer de toute philosophie est en effet vaine et illusoire. On n’en aura pas lu trente pages qu’on s’apercevra qu’ils en ont une. Il est évident, par exemple, que comme philosophe Adam Smith n’appartient pas à la même école que J.-B. Say. Destutt de Tracy et M. Rossi ne professent pas la même