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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/864

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expressions abstraites, comme essences et facultés, expressions qui cependant n’expliquaient rien, et dont on raisonnait comme si elles eussent été des êtres, de nouvelles divinités substituées aux anciennes… Ce ne fut que bien tard, en observant l’action mécanique que les corps ont les uns sur les autres, qu’on tira de cette mécanique d’autres hypothèses que les mathématiques purent développer et l’expérience vérifier[1]. » N’est-ce pas la loi des trois états formulée avec une clarté et une précision qu’on retrouve à peine dans les livrés d’Auguste Comte ? Seulement Turgot n’en a pas tiré les mêmes conséquences que le père de l’école positiviste, en matière de théologie et de métaphysique. On sait qu’il était sincèrement religieux, et il n’est pas sûr qu’il ait partagé le dédain des encyclopédistes de son temps pour toute espèce de métaphysique.

Voici les réflexions très simples et très accessibles au bon sens vulgaire que suggère au positivisme le spectacle des interminables discussions métaphysiques sur l’absolu. « Au début de ses recherches dans toutes les sciences, l’esprit humain est surtout animé par l’ambition de pénétrer l’essence des choses et d’arriver à la notion dernière qui les explique universellement. Là, dans le domaine de la spéculation, il se trouve à l’aise, il poursuit sans fin ses propres créations, il renouvelle incessamment les combinaisons des données qu’il se fournit à lui-même ; et, trompé par les fausses apparences d’un horizon qu’il croit sans bornes, heureux de manier à son gré des élémens dociles, il abandonne le contingent, le fini, le relatif, comme on dit dans le langage de l’école, c’est-à-dire la réalité des choses, telle qu’elle se présente[2]. » Or l’absolu est inaccessible à l’esprit humain, non-seulement en philosophie, mais en toute science. On aura beau grandir la portée des télescopes, on n’atteindra jamais les bornes de l’univers, si l’univers a des bornes. On ne fait qu’étendre le champ de la connaissance ; on ne l’embrasse point dans toute son étendue. Aussi, dans les sciences définitivement constituées, a-t-on abandonné toute spéculation sur les notions absolues. L’astronome a ramené les phénomènes astronomiques du système solaire à la loi de gravitation ; il a pu, par une induction toute scientifique, étendre la portée de cette loi à tous les phénomènes du système céleste tout entier : il l’a acceptée comme le dernier mot de la science, sans se demander ce qu’est cette loi en soi, ni quelle en peut être la cause. Ce que toute vraie science abandonne comme une recherche illusoire, la métaphysique persiste en vain à le chercher. Les notions absolues ne sont susceptibles ni de

  1. Histoire du progrès de l’esprit humain, p. 284.
  2. Littré, Conservation, Révolution, Positivisme, p. 37.