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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/898

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nouvelle lumière. Chaque objet des observations de la science, sans perdre aucune des propriétés que l’expérience lui reconnaît, prend tout à coup un caractère qui le rend intelligible, en en faisant le symbole d’une idée de l’esprit. En ce sens, il est vrai de dire que l’esprit seul explique la matière, et que toute vérité est dans le spiritualisme. Le stoïcisme avait dit que le monde est plein de raisons. Hegel a repris la même pensée, quand il a dit que toute réalité est rationnelle. Le langage de la philosophie, toujours d’accord d’ailleurs avec celui de la science, s’élève à des mots qui semblent mystiques au monde savant et qui pourtant ne font qu’exprimer l’absolue vérité des idées. C’est alors que l’identité des choses se montre dans tout son jour, sans nulle confusion, que l’abîme entre la matière et l’esprit disparaît pour ne laisser apparaître, dans l’évolution de l’être universel, qu’une immense série de degrés dont la matière brute est la base et l’esprit le sommet. Le jour viendra où, en plein accord avec la science, la métaphysique fera son cosmos ; et comme elle le fera avec des réalités, et non avec des abstractions logiques, ce jour-là le positivisme ne dira plus sans doute qu’elle ne poursuit que des entités. Le plus grand adversaire de l’ancienne métaphysique, Kant, a mieux compris mes instincts de l’esprit humain quand il a dit : « Plus que de toute autre science, la nature a déposé en nous les germes de la curiosité métaphysique. Elle en a fait l’enfant chéri de notre raison. Cette curiosité se rencontrera de tout temps et chez tout homme, principalement dans toute tête pensante. Seulement chacun, en l’absence d’une règle reconnue, la satisfera selon sa fantaisie[1]. » Cette règle, c’est que nulle métaphysique n’a chance d’être désormais prise au sérieux si elle ne fonde sa spéculation sur l’observation et l’expérience.


E. VACHEROT.

  1. Prolégomènes à toute métaphysique future.