tenir compte. Que veut-on, que souhaite-t-on en réalité, et par quelles concessions peut-on espérer de satisfaire le vœu général ? C’est ce qu’il n’est jamais aisé de savoir d’une manière certaine, les manifestations de l’opinion publique étant d’ordinaire un peu confuses. Celle-ci l’est plus que les autres, parce que les gens qui réclament le plus impérieusement des réformes ne s’entendent pas très bien entre eux. M. Bréal, dans l’excellent discours qu’il a prononcé devant le conseil supérieur, à l’ouverture du débat, a fait très justement remarquer que ce mouvement avait deux origines diverses, qu’il partait de deux directions opposées, qu’il faut distinguer, dans ceux qui s’accordent pour attaquer le système actuel, deux partis et par conséquent deux programmes contraires.
Les uns sont les ennemis mêmes des langues et des littératures anciennes, qui veulent les chasser tout à fait de notre enseignement et les remplacer par des études scientifiques ; ils sont aujourd’hui plus nombreux et plus exigeans que jamais. Ils’ parlent haut ; ils veulent régner dans l’école comme ils règnent dans le monde et paraissent sûrs que l’avenir leur appartient. Le temps est loin où Fontenelle s’excusait de réclamer contre les préjugés qui éloignaient des sciences une société éprise de littérature et demandait d’une façon si timide quelque place et quelque honneur pour elles. On trouvait alors que c’étaient de pures spéculations sans utilité pour la vie, « que les lignes et les nombres ne conduisent absolument à rien, » et que ceux qui s’en occupent « ne travaillent pas pour le bien public. » Ce qui est curieux, c’est que Fontenelle accepte en partie ce reproche ; il se contente de dire qu’on leur trouvera peut-être des applications pratiques qu’on ne soupçonne pas ; que, dans tous les cas, « il est toujours utile de penser juste, même sur des sujets inutiles ; que ces connaissances serviront au moins à donner plus sûrement à notre raison la première habitude et le premier pli du vrai, et qu’enfin ce n’est pas risquer beaucoup d’amasser toujours des vérités de mathématique et de physique, au hasard de ce qui en arrivera. » Les défenseurs des sciences parlent aujourd’hui d’un autre ton, et il est sûr que les grandes découvertes qu’elles ont faites autorisent leur fierté. Les rôles sont bien changés : ce sont eux qui accusent les lettres d’être inutiles, l’étude des langues anciennes leur paraît surtout sans aucun profit, et comme ils se piquent d’être des gens pratiques, ils ne veulent pas que la jeunesse perde son temps à les étudier.
Les autres ennemis du système actuel vont beaucoup moins loin, Ils ne parlent pas de supprimer le grec et le latin, ils veulent seulement qu’on les enseigne d’une autre façon. Les reproches qu’ils adressent à nos méthodes ne sont pas aussi nouveaux qu’on le croit :