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sciences ; et pour y arriver, on était bien forcé de rendre encore un peu plus étroite la place qu’on laisse aux langues anciennes.

Tel était le fond du plan d’études que le ministre de l’instruction publique a proposé au conseil supérieur. Ce plan, très habilement conçu, séduisait l’esprit au premier abord par ses dispositions simples et symétriques. Le cours entier des études scolaires était partagé en trois périodes distinctes, de trois ans chacune, séparées l’une de l’autre par des examens sérieux de passage, et couronnées par la philosophie. La première était la période élémentaire, où l’enfant devait étudier les langues vivantes, la grammaire française, recevoir quelques notions de géographie, d’histoire de France, de calcul, d’histoire naturelle, etc. La seconde période, qui commençait avec la sixième, était surtout caractérisée par l’étude du latin. On devait la pousser assez en trois ans pour rendre l’élève capable de comprendre César, Virgile et Ovide. Le grec entrait à son tour dans l’enseignement au commencement de la dernière période, c’est-à-dire en troisième, et partageait le temps des élèves avec le français et le latin, qu’ils achevaient d’apprendre. C’étaient des divisions nettes, tranchées, une sorte de système à compartimens réguliers, comme il en faut pour plaire à des gens qui aiment l’ordre et la symétrie. Il avait de plus des avantages réels, qu’on ne pouvait pas méconnaître. Ces trois cycles distincts établissaient dans la longue durée des classes comme des coupures et des points d’arrêt qui permettaient à ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas aller plus loin de quitter le lycée avec un ensemble complet de connaissances. Quand on entame tout à la fois, comme on fait aujourd’hui, le lycée devient une sorte d’engrenage qu’il faut suivre jusqu’à la fin pour en tirer quelque profit. Dans le nouveau système, chaque partie se suffit à elle-même, et ceux qui s’arrêtent en route n’ont pas perdu leur temps à aborder des études qu’ils n’achèvent pas et qui ne peuvent laisser rien d’entier dans leur souvenir.

Mais, à côté de cet avantage, le plan d’études proposé par le ministre présentait un grave inconvénient. Il paraissait sacrifier les élèves qui vont jusqu’à la fin de leurs classes, c’est-à-dire les plus intéressans et les meilleurs, à ceux qui s’arrêtent en chemin. La préoccupation d’établir ces relais commodes, qui dispensent d’aller jusqu’au bout, avait amené à beaucoup trop reculer l’étude des langues anciennes. On pouvait penser que c’est déjà bien tard de ne commencer le latin qu’en sixième ; le conseil pourtant s’y est résigné, mais il a été conduit à le faire plutôt par des considérations sociales que par des raisons pédagogiques. On a pensé qu’il y avait un intérêt public à ne pas fermer aux élèves distingués de l’école primaire l’accès du lycée et que jusqu’à un certain âge le