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en droit d’attendre qu’ils feront un vigoureux effort pour qu’elle puisse réussir. L’effort est nécessaire, car le plan d’études exige beaucoup d’eux. Il ne faut pas se faire d’illusion : c’est un travail difficile que de rendre les longues explications attrayantes aux élèves. Le maître peut réussir à les passionner, mais en se donnant beaucoup de mal. Il ne suffit pas qu’il sache le sens précis des mots dans les passages qu’il leur explique, il faut qu’il connaisse à fond les personnages, qu’il se soit rendu d’abord les scènes vivantes à lui-même pour les ; animer devant eux. Le système nouveau ne laisse guère de place aux routines et aux cahiers, qui épargnent tant de fatigue, mais qui assoupissent doucement l’esprit. C’est dans la communication directe avec l’auteur, c’est dans la lecture de commentaires et d’ouvrages savans que le professeur ira chercher l’étincelle qu’il doit communiquer à ceux qui l’écoutent. Tout cela lui prendra du temps et lui coûtera de la peine. Cependant je ne le plains pas d’y être condamné. En travaillant pour les autres, il travaillera aussi pour lui. Il devra à ses efforts continus de garder jusqu’à la fin l’ardeur pour s’instruire, la curiosité des connaissances nouvelles, le goût de savoir, qui sont les premières vertus de son métier ; il se tiendra l’esprit en haleine et ne cessera pas de se renouveler. C’est à ce prix seulement que le nouveau plan d’études peut réussir.

Pour tout résumer en quelques mots, je dirai qu’il n’est pas vrai de prétendre, comme font à l’envi les ennemis systématiques et les admirateurs maladroits du plan d’études, que c’est une œuvre révolutionnaire qui renouvelle ou-bouleverse tout. C’est au contraire une transaction, un compromis entre deux opinions opposées. D’un côté, les langues anciennes perdent quelques-heures par semaine dans les études des lycées ; de l’autre, au moyen de certaines réformes, on essaie de leur donner plus d’intérêt et plus de vie. Le malheur est que les heures, quoi qu’il arrive, seront toujours perdues ; quant aux réformes, leur succès dépend du talent et de la bonne volonté des professeurs : en sorte que la perte, dans tous les cas, est sûre, et que le gain est incertain.


GASTON BOISSIER.