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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/138

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l’ordre de brûler Persépolis. Le croyez-vous vraiment ? « Alexandre, remarque avec raison Voltaire, a fondé beaucoup plus de villes que les autres conquérans n’en ont détruit ; » et, chose assez étrange, les débris de Persépolis ne confirment aujourd’hui par aucun indice, les récits d’Arrien, de Diodore de Sicile et de Quinte-Curce. Rien n’indique que la flamme ait léché ces colonnes et ces parois couvertes de sculptures. Nous n’avons pas besoin cependant de sortir de chez nous pour savoir que les monumens ravagés par l’incendie ont coutume d’en garder la trace jusque dans leurs ruines. Mais passons ! Si Persépolis n’a pas été brûlée, Persépolis du moins a été saccagée, peut-être même en partie détruite. Je l’admets et, jusqu’à un certain point, je l’excuse. Persépolis, avec sa citadelle entourée d’une triple enceinte, se trouvait séparée de Suse par un pays d’un accès difficile ; pour y arriver, l’armée grecque avait dû franchir plus d’un fleuve, le Pasitigre, l’Oroatis, l’Araxe, — il s’agit ici du Petit-Araxe et non du grand fleuve impétueux qui se jette dans la mer Caspienne ; — elle avait dû forcer plus d’un défilé, gravir des montagnes semées de fondrières et couvertes de neige ; partout l’hostilité la plus vive l’avait assaillie ; partout, durant ce long et périlleux trajet, dans le pays des Uxiens, comme aux roches Susiades, le sentiment de l’indépendance nationale s’était manifesté avec un redoublement d’énergie. A la tête de 25,000 hommes d’infanterie et de 300 cavaliers, Ariobarzane venait de faire subir aux vainqueurs leur premier échec et, pour porter au comble l’irritation de l’armée, à peine les soldats d’Alexandre avaient-ils passé l’Araxe que 800 Grecs, réduits à l’esclavage par le prédécesseur de Darius, venaient implorer la pitié de leurs compatriotes et leur demander vengeance. Tous ces malheureux étaient mutilés ; aux uns on avait coupé les mains, les autres avaient perdu les oreilles ou le nez. Les Macédoniens, presque aussi sauvages que les habitans des hautes terres de l’Ecosse, non moins féroces que les Albanais de nos jours, étaient insatiables de butin. Alexandre, jusque-là, ne les avait pas laissés piller. Persépolis passait pour la ville la plus riche qui fût alors sous le soleil ; quand il l’eût voulu, Alexandre eût-il eu la puissance de la soustraire à l’avidité de ses soldats ? On peut blâmer la destruction de Persépolis, les scènes de désordre, les massacres qui l’accompagnèrent ; il n’est pas nécessaire d’attribuer cette exécution terrible à l’ivresse. La dévastation du Palatinat, les dégâts infligés à nos propres provinces ont été ordonnés de sang-froid ; ce fut une application barbare des lois de la guerre, ce ne fut pas le transport d’esprits en démence.

Ce grief écarté, serons-nous plus fondés à croire que les excès