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de Tyr et de Gaza le frère généreux d’Alcide, le fils chéri de Jupiter Ammon. Quel mortel en effet fut plus digne de gravir les degrés de l’Olympe et d’y aller réclamer, au nom de ses exploits, sa part d’ambroisie ?

Voyez-le dans les champs d’Arbèles, quand Parménion est parvenu à l’éveiller. Il se couvre de son casque de fer poli, brillant comme de l’argent. Autour du cou s’adapte le gorgerin orné de pierreries ; un buffle de Sicile, serré à la ceinture, l’enveloppe jusqu’à la hauteur des genoux ; un justaucorps de lin rembourré de coton, à la façon des cuirasses de Montezuma, justaucorps ramassé sur le champ de bataille d’Issus, une cotte de mailles, don de la ville de Rhodes, merveilleux travail qu’on dirait sorti des forges de Vulcain, ont complété cette armure défensive. A son côté, le héros radieux suspend alors le glaive que lui envoya de Chypre le roi des Cittiens ; de la main gauche, il saisit un faisceau de javelines. Qu’on amène Budéphale ! Le noble coursier ploie déjà sous le faix des ans ; il n’a rien perdu de sa martiale ardeur. Alexandre a cessé de le monter dans les marches ; il ne se fie qu’à lui lorsqu’il faut aller à l’ennemi. Le héros saute en selle. Quand il a formé la phalange en bon ordre et parcouru les rangs, il se place en avant du front de l’armée, s’y arrête un instant, puis tout à coup élève sa main droite vers le ciel. Les cavaliers partent à fond de train, la phalange se déroule derrière eux comme une mer houleuse. Que fait Alexandre pendant qu’à son signal la mêlée sur tous les points s’engage ? Va-t-il se placer sur quelque éminence pour embrasser de ce poste élevé l’ensemble de la bataille ? se préoccupe-t-il de rester en communication ; avec Parménion, avec ; cette aile gauche qui, séparée de lui, n’étant plus animée du feu de ses regards, menace de fléchir ? Garde-t-il sous la main des escadrons de réserve ! , des hoplites, des peltastes pour les faire donner en temps opportun ? Non ! Alexandre s’est jeté de sa personne au plus épais ; c’est sur son bras qu’il compté plus encore que sur ses soldats pour arracher au destin jaloux la victoire. Il n’y a que les vieil les chansons de gestes, que les romans de l’Arioste du Tasse qui nous montreront la guerre sous cet aspect. Le grand capitaine, s’il existe, a disparu ; il ne reste plus que le paladin courant tout enivré au-devant de la mort ou de la gloire.

Ce jeune héros « aux yeux vifs et mobiles, au nez aquilin, à la peau blanche veinée d’un réseau de pourpre, dont la chevelure blonde s’échappe en boucles frisées de dessous le casque qui la recouvre » se croit donc invulnérable ? Laissons cette illusion au fils de Thétis ! Le fils de Thétis lui-même l’a-t-il après tout jamais eue ? Homère s’est bien gardé de nous gâter ainsi l’héroïsme