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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/146

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quand le soldat marche. Les janissaires ont un uniforme de soie violette, leur arme est une arquebuse jetée sur l’épaule gauche. Derrière les janissaires, remarquez ce millier de soldats si richement couverts de draps d’or : ce sont les icoglans. La moitié a été munie d’arquebuses, l’autre moitié garde l’arc et le carquois. Trois hommes d’armes les suivent. Sur l’armure de ces cavaliers flotte, à la façon turque, une peau de léopard. La lance en arrêt, on dirait qu’ils portent à je ne sais quel ennemi invisible un défi. Vous avez sous les yeux les champions du Grand-Turc.

Oh ! les magnifiques chevaux blancs ! nous n’avions pas encore vu leurs pareils. Leur housse étincelle du feu des diamans, des émeraudes et des rubis dont on l’a semée ; ils servent de monture aux sept pages d’honneur vêtus de draps d’argent. Six autres pages, l’arc en main, le sabre courbe pendant de la ceinture, serrés dans leur longue robe de drap d’or, forment un second groupe dont l’éclat ne le cède en rien à celui du premier. La foule les regarde passer ébahie. Prosternez-vous ! le Grand-Turc en personne va paraître.

Quelle merveilleuse majesté dans son attitude et que toute cette pompe orientale lui sied bien ! Son front est entouré d’un turban de soie et de lin tissés ensemble qu’on prendrait pour une mousseline de Calicut, si le souple tissu n’était cent fois plus beau et plus riche. Quinze yards d’étoffe sont entrés dans les plis entrelacés du turban. Le sultan monte un cheval d’une blancheur sans tache, dont la housse traînante est faite de drap d’or et brodée de pierreries. De chaque côté de sa hautesse marche un page en livrée de drap d’or, et à sa suite chevauchent sur des haquenées blanches six belles jeunes femmes dont l’habit de drap d’argent disparaît sous une broderie de perles constellée des pierres les plus fines. Vaillantes amazones, elles ont l’arc en main, comme la chasseresse antique. Un cône de métal, merveilleux travail d’orfèvrerie, est posé sur leur tête, et de ce cône s’échappent de longues tresses de cheveux teints en rouge. Les ongles ont pris également la couleur du sang. Deux eunuques accompagnent chacune de ces odalisques. Après le sultan et son riche cortège, qui pourrait encore attirer l’attention ? Le grand pacha ! le commandant en chef de l’armée ! Ce pacha n’est plus le célèbre Éphestion du nouvel Alexandre. Ibrahim a été étranglé le 5 mars 1536, mais les vaillans vizirs ne manquent pas à la Porte, Roustem-Pacha, — si c’est bien Roustem qui commandait en ce jour, — porte une ample tunique de velours cramoisi et par-dessus sa tunique un dolman. Autour de lui se groupent 50 janissaires à pied. Trois autres pachas dirigent l’arrière-garde, composée de 4,000 cavaliers et de 3,000 fantassins.

Si une armée moderne a pu affronter les hasards de la guerre