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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/159

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Burke, découragé, donna sa démission des fonctions de secrétaire et revint en Angleterre.

L’impatience des catholiques était d’autant plus regrettable qu’à ce moment même il se produisait en Angleterre une circonstance heureuse pour eux. Burke n’était pas le seul homme considérable du parti whig sur lequel les excès de la révolution française eussent produit une profonde impression. Dans le courant de 1793, une fraction importante de ce parti, ayant à sa tête le duc de Portland, se sépara de Fox et se rallia franchement au gouvernement. Le duc de Portland descendait de Bentinck, ce page de Guillaume d’Orange qui suivit son maître en Angleterre, où il fut pendant de longues années son confident le plus discret et son ami le plus sûr. C’était un homme d’une médiocre intelligence, mais d’un caractère extrêmement honorable. Sa grande fortune et ses puissantes relations lui avaient fait dans son parti une situation assez considérable pour qu’on eût cru devoir lui donner la présidence nominale du ministère de coalition qui avait précédé celui de Pitt, et dans lequel figuraient des hommes aussi importans que Fox et lord North. Il n’en consentit pas moins à accepter, sous son jeune successeur, le poste de secrétaire d’état de l’intérieur. Plusieurs de ses amis entrèrent avec lui aux affaires.

Pitt pensa qu’un des membres de ce groupe politique serait bien placé pour représenter et faire triompher en Irlande une politique de conciliation. Il songea à lord Fitzwilliam, personnage de grande naissance, auquel ses amis prêtaient beaucoup de mérite. Il le nomma lord-lieutenant en remplacement de lord Westmoreland. Il pensait avec raison que ce choix serait agréable aux catholiques. Il espérait, en outre, qu’un vice-roi appartenant à l’une des grandes familles du parti whig pourrait mieux que tout autre rallier au gouvernement une partie des libéraux irlandais. Pour lui faciliter sa tâche, il entra lui-même en relations avec Henry Grattan, le chef le plus modéré et le plus honorable de l’opposition protestante en Irlande.

Grattan, qui a laissé parmi ses concitoyens un nom populaire et respecté, ’était à cette époque l’homme le plus considérable de l’Irlande. Né à Dublin en 1746, il avait été élevé au collège de cette ville, à côté de John Fitzgibbon, qu’il devait retrouver plus tard comme adversaire sur les bancs du parlement. Après avoir fait son droit à Londres, il revint exercer la profession d’avocat dans son pays natal. Ses succès au barreau le conduisirent à la vie politique. Il était protestant, par conséquent éligible. En 1775, il entrait au parlement irlandais, grâce à l’appui d’un grand seigneur libéral, le comte de Charlemont.