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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/161

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habituelle. Il fallait choisir résolument entre la politique de concessions et la politique de résistance, entre les hommes qui voulaient l’apaisement et ceux qui ne comprenaient que la lutte. Puisqu’on rappelait lord Westmoreland en lui donnant une compensation, on pouvait agir de même envers Fitzgibbon sans être taxé d’ingratitude. Bien au contraire n’était plus dangereux que d’envoyer en Irlande un nouveau vice-roi, en laissant auprès de lui, comme principal collaborateur, un homme dont les vues étaient absolument opposées aux siennes.

Lord Fitzwilliam n’avait qu’un moyen de se tirer de la situation difficile qui lui était faite. Il fallait attendre que le chancelier et les autres fonctionnaires imbus des mêmes idées eussent commis des imprudences ou se fussent donné des torts envers lui. Alors il aurait pu obtenir leur rappel et imprimer à l’administration de l’Irlande l’unité de vues et de direction dont elle avait besoin. Malheureusement le nouveau vice-roi, arrivant au milieu d’une population extrêmement surexcitée, se laissa gagner par la fièvre générale, et ce fut lui qui commit des fautes, au lieu d’attendre celles de ses adversaires. Sans consulter le gouvernement central, il mit à la retraite deux fonctionnaires importans, MM. Beresford et Cooke, qui avaient beaucoup d’amis en Angleterre et qui soulevèrent contre lui un véritable orage. Sans consulter le gouvernement central, il consentit à recevoir les pétitions en faveur de l’émancipation des catholiques. Aussitôt elle se couvrirent de noms et arrivèrent de tous les points de l’Irlande. En quelques jours, cinq cent mille signatures furent recueillies. Le mouvement prenait des proportions telles que ni lord Fitzwilliam ni Grattan n’étaient plus en mesure de l’arrêter. Par la force des choses ou plutôt par la faute des hommes, la question catholique se posait avant l’heure où elle aurait pu être pacifiquement résolue.

Grattan ne pouvait pas avoir d’illusion sur le résultat de la lutte, mais son parti était pris. Il n’avait pas, comme lord Fitzwilliam, la responsabilité du pouvoir. Il pouvait donc se préoccuper de l’avenir plus que du présent. Le 12 février 1795, il présentait un bill pour l’émancipation complète des catholiques. C’est à peine si une proposition semblable aurait pu passer dans le parlement irlandais avec l’appui du gouvernement. Or cet appui, Grattan, on s’en souvient, n’avait pas pu l’obtenir, malgré ses instances auprès de Pitt. Le premier ministre avait craint, non sans raison, l’opposition du roi. En effet, dès que George III entendit parler du bill de Grattan, il consulta sur la question, non pas le premier ministre, mais le lord-chancelier et deux magistrats connus pour leur opposition aux réclamations des catholiques. Il réunit tous les argumens contre le bill et les résuma dans une note de sa main qu’il remit à Pitt.