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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/203

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reconnaissait que l’univers est Dieu formé de plusieurs dieux qui composent ses parties. » C’est ce que M. Mariette a démontré d’une manière victorieuse, ce semble, dans son beau livre sur Dendérah, un des ouvrages les plus parfaits qui soient sortis de sa plume.

« Si riche que soit le temple de Dendérah en documens mythologiques, dit-il, le nom de Dieu de Jamblique n’y paraît pas une seule fois. Hator y est bien nommée la déesse une qui s’est formée elle-même, celle qui existe dès le commencement. Mais on doit bien remarquer que ces qualités du dieu suprême appartiennent à Phtah, à Amnon, à Chnoupis, à Hator, à toute une classe de divinités, et jamais à un dieu sans nom qui serait l’être par excellence, dieu dont nous ne saurions même pas écrire le nom en hiéroglyphes. En d’autres termes, les dieux égyptiens participent des qualités du dieu de Jamblique ; ils sont tous et séparément le dieu unique, le dieu universel ; selon leur rang, ils forment la grande Pa-ut ou la petite Pa-ut, c’est-à-dire le grand ou le petit cycle des dieux d’un temple ; mais l’ensemble de ces dieux ne constitue pas une personne divine qui serait le dieu caché dans les profondeurs inaccessibles de son essence. C’est donc à un autre point de vue qu’il faut se placer pour embrasser d’un coup d’œil exact l’ensemble de la religion égyptienne. En somme, l’expérience du temple de Dendérah nous forcerait à voir le fond des croyances égyptiennes, non dans le monothéisme plus ou moins abstrait de Jamblique, mais dans une forme du panthéisme dont le point de départ serait la déification des lois de la nature. Dans ce système, Dieu n’est pas séparé de la nature, et c’est la nature à la fois une et multiple qui est Dieu. Les Égyptiens auraient ainsi vu Dieu dans tout ce qui les entoure, dans les manifestations de l’âme, dans les propriétés de la matière, dans le soleil, dans les arbres, dans les animaux eux-mêmes. Les textes nous parlent bien du monde créé, ce qui semblerait faire croire que les Égyptiens n’ont pas cru la matière éternelle. Mais pour eux la matière n’a eu de commencement que sous sa forme actuelle. Tout en effet dans ce monde est production et reproduction. Tout naît pour mourir, et tout meurt pour renaître. La durée n’est ainsi qu’une succession d’évolutions. Qui sait si, dans les croyances égyptiennes, notre monde lui-même n’arrivera pas un jour au terme de l’évolution qu’il est en train d’accomplir, et, semblable au soleil qui s’obscurcit dans les ténèbres du soir pour se rallumer plus brillant à l’horizon du matin, semblable à la terre qui chaque année quitte et reprend son manteau de verdure, semblable à Osiris qui meurt et ressuscite, ne sera pas de nouveau façonné par la main des dieux sous une forme plus parfaite ? Pour les Égyptiens, la matière n’aurait eu de commencement que dans l’évolution à laquelle nous assistons. Elle