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Mais cette race, ainsi pétrie pour la lutte, était incapable de finesse comme elle était incapable d’amollissement. Munie de sens robustes et d’une imagination tempérée, elle n’avait pas à craindre ces excès de l’âme qui usent plus rapidement les corps que toutes les fatigues physiques. Elle n’avait pas de besoins supérieurs ; la terre lui suffisait ; l’Égypte était pour elle un pays idéal, et, lorsqu’elle songeait à se forger l’image d’un monde meilleur, elle se contentait d’y multiplier les richesses et les plaisirs de celui-ci. Il faut dire aussi que l’Égypte de cette époque avait des séductions qu’elle a perdues aujourd’hui. Le Nil, probablement plus élevé et se répandant peut-être dans plusieurs bras aujourd’hui desséchés, couvrait une plus grande étendue de terrain de ses flots fécondans. Il y avait un plus grand nombre de marécages, plus de champs remplis de roseaux ; l’hippopotame et le crocodile s’ébattaient dans des cours d’eau que le temps a comblés ; une végétation puissante s’élevait dans cette atmosphère tiède et humide. Sans doute les villes et les temples, bâtis sur les points élevés, émergeaient comme des sortes d’îles de ce pays verdoyant. Qu’on imagine dans ce milieu fait à souhait une population douce, vigoureuse, nullement passionnée, satisfaite de peu, ne demandant qu’à vivre en repos, s’amusant du spectacle de sa propre activité, bornant ses regards à la voûte immaculée d’un ciel où le soleil accomplit avec une régularité si éclatante ses révolutions périodiques, et l’on comprendra sans peine que l’art des anciens Égyptiens devait être réaliste, que leur science devait être pratique, que leur religion elle-même devait être naturaliste et avoir pour forme supérieure un panthéisme qui s’est tellement perfectionné d’ailleurs qu’on a pu quelquefois le confondre avec le monothéisme.


III

La salle de l’ancien empire est la partie de beaucoup la plus intéressante et la plus précieuse du musée de Boulaq, parce qu’elle nous donne accès dans une région de l’histoire du monde totalement inexplorée jusqu’à nos jours. Mais la salle des Hycsos noue apporte également des révélations d’un prix inestimable. Le sort de l’Égypte, comme nous l’avons déjà observé, a été de subir sans cesse l’ingérence étrangère. Il est probable que les découvertes de l’archéologie mettront de plus en plus ce fait en lumière. Il est non moins probable qu’on constatera de plus en plus que l’Égypte a rapidement absorbé ceux qui la dominaient. La loi principale de son histoire paraît être une action constante du dehors sur ses élémens intérieurs et une réaction non moins constante de ses