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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/207

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populaire les chargea d’épithètes ignominieuses et les traita de maudits, de pestiférés, de lépreux. »

Il y a une vingtaine d’années, le récit de Manéthon était admis sans le moindre doute. Il eût été pourtant très facile d’y reconnaître pour le moins quelque exagération. Lorsque l’historien national, écoutant plutôt sa haine que le sentiment de la vraisemblance, nous dit que les Hycsos détruisirent tout sur leur passage, renversèrent les temples, saccagèrent les monumens, brûlèrent les villes, etc., comment ne pas remarquer tout de suite les nombreux témoignages qui contredisent son récit ? Les statues des rois de la douzième et de la treizième dynastie trouvées à Tanis, la capitale même des Hycsos, n’ont pas été mutilées par eux ; bien au contraire, ces prétendus iconoclastes les ont ornées de leurs propres légendes en hiéroglyphes, suivant l’usage constant des vainqueurs en Égypte, qui n’ont jamais rien eu de plus pressé que de démarquer en quelque sorte les œuvres de leurs prédécesseurs pour se les approprier. Sont-ce les Hycsos qui ont pillé les innombrables mastabas de l’ancien empire que les chercheurs de trésors ont trouvés intacts et qu’ils ont dépouillés sans merci ? Nulle part n’apparaît la trace des ruines qu’ils auraient faites. Ils n’ont pas touché au temple du Sphinx, et si le temple de Tanis a été renversé, c’est après leur départ d’Égypte et par des mains égyptiennes, L’obélisque d’Héliopolis, qui est de la douzième dynastie, est encore debout. Une foule d’autres monumens conservés jusqu’à nous attestent que le Fléau, suivant l’expression d’une inscription de la dix-neuvième dynastie, n’a pas été aussi dévastateur qu’on a voulu le dire. S’il y eut des Hycsos pillards qui portèrent la main sur les sanctuaires égyptiens et les profanèrent, ce ne fut donc que dans des momens très courts.

Ces explosions locales et passagères de barbarie n’eurent pas les conséquences générales qu’on s’est plu à leur attribuer. Tout porte à croire que les débuts de la conquête eux-mêmes furent peu sanglans. Au moment où un immense ébranlement des races sémitiques amena les Hycsos en Égypte, elle était partagée en petites principautés toujours en lutte l’une contre l’autre, toujours livrées à une anarchie qui produisait une radicale impuissance. La conquête ne fut ni longue ni cruelle ; Manéthon lui-même nous apprend que les Hycsos s’emparèrent « par force, aisément et sans combat » de la partie du territoire égyptien la plus voisine de leur arrivée. Ne rencontrant presque pas de résistance, pourquoi auraient-ils éprouvé de grandes colères ? Ils s’avancèrent en conquérans, non en barbares. On a découvert dans les ruines de Tanis deux beaux colosses de granit gris qui représentent un roi assis dans