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excellente politique. On ne sait pas assez chez nous combien les écoles sont d’admirables instrumens d’influence morale et matérielle. Les Allemands, au contraire, le Bavent ; ils en ont fait l’expérience en Europe ; ils ne demandent qu’à la recommencer en Orient. Le musée de Boulaq est une œuvre française, et tant que M. Mariette sera là, il n’y a pas à craindre qu’il échappe de nos mains. Mais que M. Mariette vienne à se retirer, et les Allemands, qui guettent depuis longtemps le musée et la direction des fouilles, s’en empareront si nous ne trouvons pas le moyen de les en empêcher. Or les Allemands ont prouvé depuis quelques années qu’ils apportaient dans la science l’esprit belliqueux, les haines nationales, les préjugés patriotiques qui les animent dans la vie politique. Maîtres du musée de Boulaq et des fouilles égyptologiques, ils n’auront pas d’autre souci que d’effacer la trace de nos découvertes, que d’en contester les résultats, que de nous en disputer la gloire. Qui sait même si, profitant d’un de ces caprices ministériels dont je parlais en commençant, ils n’arriveront pas, un jour où le musée sera sans logement et où la caisse du gouvernement égyptien sera vide, à faire passer à Berlin, moyennant un prix modique, les collections qui ont été réunies par nous sur les bords du Nil ? Une œuvre qui nous fait le plus grand honneur, qui est, et surtout qui peut devenir un des élémens principaux de notre action morale en Égypte, disparaîtrait ainsi d’un seul coup. Ce que les Allemands ont fait à Olympie doit donner à réfléchir ! Si l’on voulait réellement que l’initiative des études égyptologiques nous restât et que le musée de Boulaq devînt le centre d’un mouvement intellectuel français auquel un certain nombre d’indigènes s’associeraient bien vite, il faudrait y annexer à tout prix une école. On devrait prendre garde d’ailleurs en créant cette école, de ne pas l’enfermer dans un cadre trop étroit, trop spécial, où elle étoufferait bien vite. Ce n’est pas seulement l’égyptologie qui peut porter en Égypte des fruits particulièrement savoureux : aucun lieu n’est plus favorable à l’ensemble des études orientales. Pourquoi ne tâcherait-on pas d’y former, à côté des égyptologues, des arabisans, des linguistes versés dans le turc, le persan, les dialectes asiatiques, des archéologues et des historiens capables de mener à bonne fin la grande entreprise d’exploration de l’Orient, qui n’en est encore qu’à ses débuts ? Sans doute, il existe à Paris une école des langues orientales dont les cours, faits par des professeurs éminens, rendent les plus grands services. Néanmoins, quand on a habité quelque peu l’Orient, on est frappé de voir combien les jeunes gens qui sortent de cette école sont dépaysés dès qu’ils arrivent dans le monde oriental. La plupart d’entre eux ne savent pas