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se faire comprendre et ne comprennent pas non plus les indigènes. C’est que, pour la langue comme pour le reste, rien ne remplace le contact direct. Il y a au Caire plusieurs personnes qui parlent et écrivent l’arabe avec la plus grande perfection, de véritables littérateurs arabes dont la conversation et l’exemple seraient pour de jeunes arabisans le plus précieux des auxiliaires. Il y a surtout la mosquée d’El-Azar, qui est la première université musulmane de l’Orient et qui leur offrirait d’inépuisables ressources. Trouveront-ils jamais à Paris un milieu pareil ? En se mêlant à la vie intellectuelle de notre école, — ce qu’ils feraient avec joie, — les Arabes instruits s’imprégneraient de plus en plus de l’esprit français, qui est déjà si développé chez eux. Il y aurait une action réciproque des Arabes sur l’école et de l’école sur les Arabes. L’École des langues orientales ne devrait pas plus entraver la création d’une école d’orientalistes au Caire que l’École normale, l’École des chartes ou l’École des hautes études n’ont entravé la création des écoles de Rome et d’Athènes. Mais il est évident qu’une école à la fois orientale et égyptologique ne pourrait pas être uniquement composée de philologues et d’archéologues ; il faudrait aussi permettre aux architectes de l’Académie de Rome d’y venir passer une ou deux années. Quels admirables sujets d’études n’y trouveraient-ils pas, soit dans les monumens historiques, soit dans ces merveilleuses mosquées du Caire, le spécimen le plus pur de l’art arabe ? Rome est sans doute ville féconde en enseignemens ; il est permis de croire cependant que depuis tant d’années qu’on l’observe, elle est un peu épuisée. L’Égypte est une terre presque vierge d’où l’on tirerait d’innombrables moissons.

Quoi qu’il en soit et en attendant l’avenir, le musée de Boulaq, tel qu’il vient d’être réorganisé, est un excellent atelier d’études pour les travailleurs isolés qui voudront venir y chercher une première initiation égyptologique. Placé au Caire, sur les bords du Nil, il se rattache par une sorte de lien moral aux monumens égyptiens qu’on peut aller visiter après l’avoir vu : il en résume et en condense les enseignemens ; c’est une institution tout à fait égyptienne qu’il serait désolant de voir disparaître un jour ou l’autre. Le Caire en serait découronné. Il perdrait un de ses plus grands attraits. En dépit de ses mosquées, de ses rues pittoresques, de ses maisons arabes, de ses Pyramides, il lui manquerait à coup sûr quelque chose si l’on ne pouvait plus y visiter les jolies salles remplies de colosses et de statuettes, de sphinx et de bibelots, de stèles et de bijoux, de momies et de scarabées du musée de Boulaq.


GABRIEL CHARMES.