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année, une certaine affectation un peu imprévue dans la commémoration de Sedan. Au total, dans ce mouvement de l’Europe qui suit son cours, qui est nécessairement toujours un peu mêlé, le sentiment de la paix, d’une paix vraisemblable et désirée, est ce qui domine. Si laborieuses que soient les conditions faites à cette vieille Europe affairée, divisée de passions, d’ambitions comme d’intérêts, on s’efforce visiblement d’éviter les conflits, d’atténuer les difficultés là où elles apparaissent.

Nulle part on n’a de goût à recommencer légèrement les jeux de la force, et M. le président du conseil répondait particulièrement au vœu de la France lorsque, dans son dernier discours, avec une intention que les faits confirmeront sans doute, il s’étudiait à rassurer l’opinion au sujet de « prétendues tentatives d’intervention plus ou moins inopportunes, » sur de « soi-disant complications naissantes. » M. le président du conseil répondait certes à un instinct public lorsqu’il mettait tout son zèle à se défendre d’une « politique d’aventures, » en ajoutant : « Je connais trop, pour ma part, les sentimens de ce pays, qui veut résolument la paix, pour rien faire qui puisse la compromettre… » La paix est le mot de la situation ; elle est dans les vœux, dans les intentions comme dans les intérêts de notre pays, et s’il y avait aujourd’hui des nuages, ils ne viendraient sûrement pas du côté de la France. Quelques Allemands, il est vrai, après avoir pris une semaine de réflexion, sans trop tenir compte des déclarations plus récentes de M. le président du conseil, se sont avisés de découvrir une signification belliqueuse dans des paroles prononcées par M. Gambetta à Cherbourg et de montrer au sommet des Vosges le spectre de la revanche française. Ils ont fait d’une harangue adressée à des commis-voyageurs une espèce d’affaire, et ils ont cru aussitôt indispensable de réchauffer les souvenirs de Sedan, de mettre l’Allemagne en garde. Soit ; mais le bruit de ces polémiques assez artificielles n’a-t-il eu réellement d’autre cause ou d’autre objectif qu’un discours de M. le président de la chambre des députés de France ? N’a-t-il pas été plutôt une diversion de circonstance pour couvrir quelque difficulté de situation, quelque nécessité de gouvernement ou quelque aggravation de charges militaires, comme cela s’est déjà vu si souvent ? Ce qui est certain, c’est que le « spectre de la revanche française » a déjà beaucoup servi en Allemagne, et que cette échauffourée de plumes teutonnes n’a manifestement rien de sérieux ne répond à aucune circonstance saisissable. Quelque importance que puisse avoir M. Gambetta, il n’a pas le pouvoir d’entraîner notre pays dans des hasards, de donner des mots d’ordre de guerre ; il n’en a même pas probablement eu la pensée, et s’il s’est laissé aller à quelque exubérance de langage entre commis-voyageurs réunis, M. le président du conseil, dans tous les cas, s’est empressé de remettre à son vrai point la politique extérieure de la France. Il n’y a en tout cela ni