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développement et en éclat à celui des populations chrétiennes de l’Occident. Ces Vikings, ces rois de la mer, où l’on n’a voulu voir pendant si longtemps que d’intraitables et avides pirates, d’incorrigibles Seeräuber, comme disent les Allemands, nous apparaissent désormais comme une puissante population maritime qui faisait au loin le commerce et la guerre, sans doute avec la barbarie que la guerre avait de leur temps, mais qui le disputaient sur bien des points sous le rapport moral, intellectuel et matériel aux Francs de l’empire des Carolingiens et aux Anglo-Saxons de l’heptarchie. Dès 1852, M. Worsaae publiait, sur l’histoire de la domination danoise et norvégienne dans les Iles britanniques, un livre fort savant rempli des faits les plus neufs et où était établie la part considérable que cette domination a prise à la civilisation des Anglo-Saxons. Il y revendiqua pour ses compatriotes qui imposèrent sous Suénon et Canut le Grand leur joug à l’Angleterre un rôle prépondérant que les historiens anglais leur avaient refusé, et ce qu’il nous a appris de la puissance danoise au commencement du XIe siècle nous préparait déjà à cette plus complète réhabilitation des Vikings qu’il a poursuivie depuis sur le sol même de la Scandinavie. Le mouvement d’études archéologiques que l’on doit à l’impulsion de la société des antiquaires du Nord a doté la science d’une foule de travaux qui permettent de reconstruire aujourd’hui sur bien des points cette vieille civilisation que l’établissement du christianisme avait fait beaucoup trop oublier. Comme je l’ai déjà dit, les Scandinaves ont produit une littérature originale avant même que les-populations germaniques eussent appris à cultiver la poésie ; ils-ont eu une mythologie riche en traditions et en images de mille sortes, où l’érudition va maintenant chercher les preuves de l’antique parenté existant entre les races de l’Europe et celles de la Perse et de l’Inde.


II

N’ayant pour patrie qu’une contrée froide et quasi stérile, tout entourée par les mers, les Scandinaves étaient obligés d’aller chercher au loin sur l’océan ce qui leur manquait sur le sol natal. Ils étaient prédestinés ainsi par la nature à devenir d’habiles marins et à faire le commerce lointain. De là le développement précoce que prit chez eux la navigation. Tous les grands peuples de l’antiquité ont été guerriers ; la guerre fut une des premières formes de la lutte pour l’existence, et les progrès de l’art de la faire ont marché de pair avec ceux de la civilisation. C’était donc à la guerre maritime que les Scandinaves devaient d’abord appliquer leur génie ; c’était dans des expéditions sur les mers qu’ils devaient déployer