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chroniqueurs. Comment une infusion d’un sang aussi barbare aurait-elle inoculé aux Gallo-Francs des bords de la Seine et de la Vire ce germe de progrès intellectuel et matériel qui leva si spontanément ? N’est-ce pas là un motif de se demander si, malgré les ravages qu’ils ont exercés, ces hommes du Nord qui envahissaient périodiquement nos côtes étaient aussi barbares, aussi constamment farouches qu’on l’a induit du témoignage des Occidentaux, s’il ne faut pas chercher en eux autre chose que des écumeurs de mer menant sur leurs embarcations cette même existence de brigands que menaient, au dire des Romains, dans leurs expéditions à travers le continent, les Cimbres vaincus par Marius ? Assurément les Normands établis en Neustrie ont été redevables de bien des choses à la société latine, déjà en possession de certains arts et de certains raffinemens inconnus dans leur patrie, mais ils ont apporté en retour des institutions et des habitudes qui sont loin d’être le fait de barbares et qui, loin de ravaler la population, l’ont au contraire élevée à un niveau supérieur.

L’occupation d’une partie du sol anglais par les Danois peut fournir matière à des observations du même genre et une étude attentive poursuivie sur les documens nous donne une plus haute idée de l’état des scandinaves au temps des expéditions normandes que celle qu’on acceptait généralement. En Angleterre, pas plus qu’en Normandie, les Normands, malgré leurs incursions déprédatrices, ne sauraient être assimilés à des barbares dont l’existence se serait fort rapprochée de celle de ces sauvages faisant une guerre sans merci à tout ce qui est progrès et civilisation. Il appartenait à l’érudition scandinave de rétablir les faits et de rendre aux anciens Normands leur physionomie véritable. Les imprécations que ces coureurs des mers avaient attirées sur leur tête en Occident salissaient quelque peu le blason des trois royaumes que Marguerite de Valdemar unit pour un temps, à Calmar, en une puissante monarchie et d’où sont sortis tant de guerriers illustres et d’esprits éminens. L’on comprend donc qu’un sentiment patriotique ait stimulé les recherches des antiquaires du Nord et les ait poussés à réunir tout ce qui était de nature à réhabiliter les Normands. Les documens recueillis dans les Sagas autant que les objets de toute sorte extraits des anciennes sépultures, découverts dans le sol et déposés dans les musées, leur ont fourni des preuves nombreuses qu’il y a eu au commencement du moyen âge une véritable civilisation scandinave, qu’au IXe et au Xe siècle, alors que le christianisme n’avait point encore plié la race vigoureuse des Normands à ses préceptes et à des usages d’origine latine, ces peuples habitans du Danemark, de la Norvège, de la Suède s’étaient fait, par leurs propres forces et leur propre industrie, un état social qui ne le cédait guère en