Norvégiens s’étaient de bonne heure assuré une place d’armes tout à fait du même genre. Ils s’y rendaient soit des Shetland et des Orcades, soit directement de la Norvège, sans se laisser arrêter par ces courans furieux et toujours bouillonnans qu’offrent le Röst entre les deux archipels et un peu plus au sud le Pentland Firth, que redoutent encore aujourd’hui des bâtimens autrement solides que ne pouvaient l’être les embarcations des Normands. C’est de cette presqu’île de Kataness que les Scandinaves s’avancèrent dans l’Ecosse occidentale et jusqu’en Irlande, dont ils se rendirent en partie maîtres. Le nom de Sutherland, qu’a conservé l’un des comtés les plus septentrionaux de l’Ecosse, est une dénomination toute d’origine norvégienne, car cette région des Highlands était pour les envahisseurs venus du nord un pays du sud (Sudrland), comme le mot l’indique. M. Worsaae a relevé dans cette partie de l’Ecosse une multitude d’appellations géographiques qui sont empruntées à l’idiome norvégien. Des traces nombreuses se trouvent pareillement dans l’île de Man, qui fut longtemps au pouvoir de ces mêmes conquérans. Dans la Frise occidentale, les Normands s’étaient également assuré un territoire où leurs débarquemens s’opéraient sans obstacle et d’où, au temps de Louis le Débonnaire, ils poussaient en remontant le Rhin leurs irruptions jusque dans la région qu’arrosent la Meuse et la Moselle. Le système adopté par les Anglo-Saxons pour soumettre l’Irlande était à peu près celui qu’avaient suivi avant eux les Danois dont les établissemens furent une première brèche, à l’indépendance de la verte Erin. Les Anglais s’assurèrent du canton qui environne Dublin et dont les Danois avaient jadis fait un de leurs quartiers-généraux[1]. Ils l’environnèrent d’une puissante palissade qui lui valut le nom de Pale par lequel il fut longtemps désigné. Ce retranchement ne cessa de mettre les conquérans à l’abri des attaques des indigènes jusqu’au temps d’Henri VIII, qui parvint enfin à abattre l’autonomie des comtés de l’intérieur de l’île. Un semblable mode de conquêtes, qui prenait son point d’appui sur une occupation d’abord fort limitée[2], était tout à fait dans le génie d’un peuple de marchands. Les envahisseurs procédaient lentement, ils ne visaient pas à des conquêtes rapides, à des exploits de nature à frapper les imaginations. Assurés d’un point sur le rivage, ils entraient en relations de commerce avec les indigènes ; ils étendaient graduellement leurs approvisionnemens et leur emmagasinage, et agrandissaient à la longue le
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