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rayon de leur colonie, en consolidant le point fortifié qui en était le centre. Telle paraît avoir été, dès une haute antiquité, la façon d’agir des Phéniciens. Ce peuple de marchands allait fonder des factoreries dans des îles voisines du littoral de la Méditerranée, sur des promontoires de l’Afrique et de l’Espagne, qui devenaient autant de centres d’une conquête dirigée à l’intérieur. Ils choisirent pour ces premiers établissemens des points naturellement fortifiés dont ils augmentaient les défenses ; ces points leur fournissaient des endroits faciles de débarquement et un entrepôt pour les marchandises qu’ils offraient comme objets d’échange aux indigènes et pour le butin dont ils s’emparaient sur les tribus dont ils avaient à repousser l’hostilité.

Ainsi prit naissance l’antique colonie de Gadès ; telle a été aussi l’origine de Carthage ; les Grecs, lors de leurs premiers établissemens en Sicile et en Italie, paraissent avoir procédé de la même manière. Cumes, juché comme un nid d’aigle sur un petit promontoire, leur fournit sur la côte occidentale de l’Ausonie un premier repaire presque imprenable, et la tradition disait que Diomède et ses compagnons s’étaient établis pour dominer le littoral de l’Adriatique dans les petites îles Tremiti. De nos jours, nous voyons à Gibraltar une occupation de la même nature protéger le commerce régulier ou interlope des Anglais dans la péninsule et continuer la politique coloniale qu’avaient, il y a plus de deux mille cinq cents ans, inaugurée dans les mêmes parages leurs devanciers les Phéniciens. Il importe d’insister sur ce fait qui prouve que chez les anciens Normands le génie du commerce, d’un commerce, il est vrai, qui sentait plus les habitudes du forban que la bonne foi d’honnêtes trafiquans, s’associa à l’esprit d’aventures. Tous deux se développèrent de conserve en diverses contrées. Dans les Iles britanniques, par exemple, ainsi que je l’ai noté plus haut, les marchands danois ouvrirent la voie aux conquérans. Il semble que les choses se soient ainsi passées à l’est de l’Europe, en Russie, et que des associations de marchands scandinaves, de véritables hanses normandes, aient apporté dans le nord de ce vaste empire, au pays de Novgorod et de Pskof, le premier foyer de la civilisation. Les Varègues, comme on appelait ces colons scandinaves, trafiquaient déjà depuis longtemps avec les tribus finnoises et les populations slaves de la Russie, quand ils fondèrent dans cette contrée des établissemens permanens. Ces marchands normands qui, du golfe de Finlande, s’avancèrent jusqu’aux sources du Volga et de la Duna, se constituaient en associations auxquelles s’attacha en certains lieux le nom de Rosslagen et qui furent le noyau de petits états dont l’influence a été très marquée sur la civilisation moscovite.