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sortis de la Neustrie s’étaient rendus en Italie, où ils avaient réussi à acquérir près des petits princes du pays du crédit et de l’importance. L’un d’eux, Gaimar, prince de Salerne, les avait particulièrement bien accueillis. Peut-être commençait-il à en avoir assez et il leur conseilla d’accepter les offres que leur fit Maniak de servir avec lui contre les Sarrasins de Sicile, moyennant un gros salaire. Parmi eux se trouvaient deux des plus jeunes fils d’un seigneur normand du Cotentin, Tancrède de Hauteville, et qui, en leur qualité de cadets d’une famille nombreuse, — elle comptait douze garçons, — étaient allés chercher au loin fortune. C’étaient le fameux Robert Guiscard et son frère Roger, que devaient rejoindre par la suite leurs trois aînés, Guillaume Bras-de-Fer, Drogon et Humfroy. Ces deux Normands étaient à la tête de trois cents de leurs compatriotes. Toute cette troupe unie à un certain nombre de Lombards passa au service des Grecs, et telle a été, comme on sait, l’origine de la domination normande dans la Pouille et en Sicile. Cet événement, qui occupe une grande place dans l’histoire du XIe siècle, est une des preuves les plus frappantes du génie dominateur de la vieille race scandinave. A force d’adresse, de persévérance et de sang-froid, les Normands réussissaient à imposer leur autorité à ceux auxquels ils n’avaient d’abord demandé qu’un salaire ou qu’un asile.

L’esprit de domination et l’instinct colonisateur persistèrent longtemps chez eux après qu’ils eurent perdu par leur entière conversion au christianisme et leur contact répété avec les nations méridionales ce qu’il y avait de plus original et de plus vigoureux dans leur ancienne organisation. Peu à peu les peuples sur lesquels elle avait pris pendant un temps un si puissant ascendant refoulèrent dans son berceau primitif cette race des rois de la mer. Si, en maintes contrées visitées par les Vikings, les traces de leur présence subsistent dans les traits physiques et moraux des habitans, dans les noms de lieux, dans divers usages et jusque dans la forme de certains engins ou ustensiles, dans l’idiome local et dans plusieurs institutions, l’influence politique et sociale des nations scandinaves sur l’Europe n’en a pas moins complètement disparu. C’est que la grandeur et la puissance de certains peuples ont été étroitement liées aux conditions au milieu desquelles cette grandeur et cette puissance avaient pris naissance. Quand le progrès de la civilisation a amené l’affaiblissement ou la ruine d’un ordre particulier d’institutions et de croyances et l’abandon des mœurs correspondantes, les peuples chez lesquels elles avaient acquis leur plus haut degré de force et d’éclat tombent rapidement, et ce progrès de la civilisation ne devient pour eux qu’une cause d’infériorité et de