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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/282

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moraux. M. Littré dit à ce sujet : « Le procédé qui produit les phénomènes moraux est analogue à celui qui produit les phénomènes intellectuels : des deux parts il y a un apport sur lequel le cerveau travaille. Cet apport est l’œuvre des faits externes pour les phénomènes intellectuels ou idées ; il est l’œuvre des sensations internes pour les phénomènes moraux ou sentimens. Dans les deux cas, le cerveau est organe élaborateur, non créateur. » Il est aisé de comprendre en effet que l’égoïsme se diversifie, s’étend, s’élève, à mesure que se diversifie et se complique la substance vivante elle-même ; comme cette substance, dans le cerveau, arrive à penser et à vouloir, le besoin de nutrition finit par entraîner le besoin d’exercer les facultés intellectuelles ou morales et d’alimenter leurs organes. De même, le besoin d’engendrer et de produire, de donner à autrui, peut, par une série d’évolutions, devenir sociabilité, patriotisme, philanthropie universelle. La lutte qui s’établit entre les deux ordres de besoins et de sentimens constitue la vie morale. Pourquoi l’altruisme, dans cette lutte, doit-il finir par l’emporter de plus en plus au sein de l’humanité ? La biologie nous fournit elle-même la réponse. En effet, elle considère comme inférieur ce qui est plus simple ou primordial, — telles sont les fonctions de nutrition, — comme supérieur ce qui est plus compliqué et plus développé, — telles sont les fonctions de reproduction ; l’altruisme répond donc à un degré supérieur de l’évolution humaine. Aussi ira-t-il dominant de plus en plus : « La notion de l’humanité, se dégageant, resserre l’égoïsme et dilate l’altruisme. » Le terme auquel tend l’histoire est l’universelle fraternité, qui n’est pourtant encore que le développement de la tendance essentielle à toute substance vivante : se conserver et s’accroître comme individu et comme espèce. Sous sa forme consciente, l’altruisme devient la sympathie, la bienveillance, la bienfaisance ; mais il se ramène toujours à l’instinct de développement et de génération qui est essentiel aux êtres vivans. « Quand la sympathie, a-t-on dit, est capable de nous porter au sacrifice, quand elle se montre vive et ardente comme en quelques belles âmes, c’est qu’il y entre un effluve de ce sentiment puissant qui est l’amour… L’idée sociale la plus large où il pénètre a été nommée fraternité[1]. »

Outre les sentimens égoïstes et altruistes, l’école positiviste reconnaît d’ordinaire une troisième classe, « celle des sentimens désintéressés, s’appliquant à de pures idées, et qui sont l’amour du vrai, du beau et du juste[2]. » Ce passage de l’animalité à une

  1. Lucien Arréat, ibid.
  2. Ibid.