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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/360

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commerce le Fleuve-Rouge depuis la mer jusqu’au Yunnan, comme si M. Dupuis ne l’avait pas parcouru dans toute son étendue sans autorisation. Et c’est tout : pas un mot d’une indemnité à la famille de Francis Garnier, rien d’un dédommagement de la ruine vers laquelle on poussait M. Dupuis, le silence le plus absolu sur le sort réservé aux quelques milliers d’indigènes qui s’étaient enrôlés sous les couleurs français es. à l’appel de nos officiers de marine.

Quel fut le résultat de cette inqualifiable convention ? Le désaveu officiel de Francis Garnier, qui n’était plus là pour protester et se défendre ; — M. J. Dupuis sacrifié aux rancunes des Annamites, persécuté jusqu’en France, où il réclame en vain justice et réparation, où chacun semble ignorer qu’il a été le premier explorateur d’un fleuve offrant une bien autre utilité que le fameux passage du nord-est ; — la mort de tous les indigènes dévoués aux Français.

Détournons nos regards de ces hontes ; mais avant de démontrer que nous avons intérêt à nous annexer le Tonkin, nous prions le lecteur de noter ceci : c’est que les Annamites, si pressés de nous voir partir de chez eux, n’ont jamais exécuté les clauses du traité de 1874 ; ils déclaraient, il est vrai, que le Fleuve-Rouge était ouvert à la navigation, mais quiconque eût tenté ou tenterait encore aujourd’hui de le remonter jusqu’au Yunnan serait sûr d’y périr. Tout dernièrement encore, un de nos compatriotes, M. Francelli, qui s’était porté à quelques milles d’Hannoï, a été assassiné par des pirates. Le gouvernement. annamite a offert 1,000 francs, à la famille de la victime. Nous sommes contraint d’ajouter, le rouge au front, que cette somme a été acceptée. Voilà où en est la liberté de navigation sur le Fleuve-Rouge et tel est le tarif d’une vie française dans ces parages.


II

Ce n’est pas d’hier que la France a compris l’importance du Fleuve-Rouge. Dès le commencement de 1873, une exploration officielle avait été décidée, et c’était M. le lieutenant de vaisseau Louis Delaporte qui devait la diriger. La colonie de Cochinchine avait offert à cet effet 30,000 francs, le ministre de l’instruction publique 20,000, et la Société de géographie de Paris 6,000. Le ministre de la marine s’engageait à fournir le matériel et le personnel. Malheureusement le traité de M. le contre-amiral Dupré coupa court à ces utiles projets d’exploration. A l’aide des documens très précis que nous avons sous les yeux, nous pouvons cependant suivre et même décrire le Fleuve-Rouge de sa source jusqu’à ses diverses embouchures. Cette étude, on le voit, a beaucoup d’importance, car c’est bien en vue de pouvoir nous rendre