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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/361

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un jour les maîtres de ce cours d’eau que nous conseillons au gouvernement français d’activer la prise de possession du Tonkin.

Le Fleuve-Rouge varie moins de direction que de désignation. C’est un Protée prenant à chaque instant sinon une forme nouvelle, du moins un titre nouveau. Sur nos meilleures cartes, — et ce n’est pas beaucoup dire, — on l’appelle parfois Song-koï. C’est ainsi que nous avons dû le désigner dans notre premier travail sur le Tonkin. Les Chinois ont deux mots pour l’indiquer : Ko-ti-kiang et Hong-kiang. Les Annamites lettrés le nomment Nhi-ha-giang ; enfin il paraît que le révérend père de Rhodes l’a baptisé Bô-dê, nom étrange, nom introuvable, mais que l’on peut voir sur la carte du Tonkin que ce missionnaire a faite en 1650. D’après M. de Kergaradec, consul de France à Hannoï, l’un des rares Français qui aient, — longtemps après M. Dupuis, — exploré le fleuve Rouge, pas un indigène ne connaît le vocable Song-koï, personne ne l’a prononcé devant lui pendant son voyage. Il est possible que ce soit une corruption de Song-caï, signifiant fleuve « principal, » Ce qui le fait supposer, c’est que ce terme est en usage au-dessous de la ville de Hannoï pour distinguer entre divers cours d’eau le plus considérable.

Quoi qu’il en soit, le Fleuve -Rouge, — et nous ne le désignerons pas autrement, puisque c’est le nom que lui a donné son premier explorateur, — doit prendre sa source dans la province chinoise du Yunnan, ou peut-être encore sort-il de quelque vallée ignorée de l’Himalaya. Si l’endroit précis où il prend naissance n’est pas encore déterminé, M. Luro, inspecteur des affaires indigènes en Cochinchine, nous apprend que la commission d’exploration du Mékong a traversé son cours près de la ville chinoise de Si-ngan-fou, par 23° 30’ de latitude.

Cette province du Yunnan, à l’ouest comme au nord, ne présente qu’une masse imposante de montagnes dont les sommets ont en beaucoup d’endroits gardé leurs belles forêts vierges. Là où la cognée du bûcheron a fait le vide, on cultive l’indigotier et le mûrier : là paissent des moutons, des chèvres, des bœufs, ceux-ci de taille moyenne, comme les ruminans de la Malaisie et des îles Philippines. Les collines sont généralement défrichées avec soin, plantées de sapins et de chênes. Dans les vallées creusées profondément par les torrens, la végétation est luxuriante. C’est une Suisse, mais moins bien cultivée, et où l’on ne paie rien encore pour contempler les sites. C’est ici que l’on rencontre les grands vols d’alouettes, dites alouettes de Mandchourie. Ces oiseaux animent de leurs chants les lieux les plus sauvages. On y voit aussi le coq de bruyère et la perdrix grise, que la présence de l’homme n’effraie