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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/381

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longtemps ennemis d’une annexion pour que cette affaire se soit éternisée dans ces sépulcres qu’on appelle les cartons d’une administration publique.

À cette occasion, nous avons entendu évoquer déjà les sinistres souvenirs du Mexique, comme s’il pouvait y avoir la moindre analogie entre les deux entreprises. La France n’a plus, grâce à Dieu, de princes étrangers à caser. On a parlé du mauvais vouloir de la Chine, comme si cet empire avait soufflé mot lorsque nous avons occupé la Cochinchine, pays tributaire. La Chine a laissé les Japonais faire une expédition armée dans l’une de ses plus belles possessions d’outre-mer, Formose, sans y mettre opposition, sans jeter sur l’expédition la flotte qu’elle avait à Foo-chow. Elle s’est encore laissé enlever avec la même docilité et par le même petit peuple tout un archipel, celui des îles Liou-kiou. Et la Russie ? Quels immenses territoires au nord et à l’ouest ne lui a-t-elle pas ravis ? Peu lui importera donc, qu’on en soit bien persuadé, de nous voir entrer au Tonkin, dans un pays où nous sommes déjà du reste et qui, une fois tout à fait ouvert, deviendra la voie par laquelle s’écouleront vers l’Europe les produits de ses riches provinces de l’est et du sud. Supposer enfin que la Chine aime mieux voir sur sa frontière du Yunnan des Pavillons-Noirs que des Français, des bandits qu’un peuple civilisé, c’est lui faire injure et en faire une à nous-mêmes.

Il a été question de l’Angleterre à ce sujet. On a réveillé le souvenir de son ancienne jalousie, on s’est demandé avec quelque anxiété ce qu’elle dirait si la France s’annexait un nouveau territoire. Nous qui suivons journellement et avec la plus grande attention les agissemens des Anglais dans l’extrême Orient, nous pouvons affirmer que la presse de cette contrée ne demande qu’une chose, c’est que nous ouvrions le Tonkin au commerce comme nous lui avons ouvert la Cochinchine. Elle désire que nous y fassions cesser l’anarchie qui y règne et que nous débarrassions le golfe des brigands qui l’infestent. Qu’a dit l’Angleterre lorsqu’en 1873 le croiseur français le Bourayne a fait sa belle campagne contre les pirates chinois de ces régions ? Elle a félicité le commandant de ce bateau lorsque, sa mission terminée, il est venu faire relâche à Hong-kong.

Il se publie à Londres et à Hong-kong deux organes importans de l’opinion anglaise, the London and China Telegraph et le China overland Trade Report. Ces deux publications bimensuelles ont manifesté plusieurs fois leurs regrets et leur étonnement de nous voir hésiter si longtemps à occuper le Tonkin. « Plus la France, ont-ils dit déjà à diverses reprises, tardera à prendre possession de ce pays, et plus sa tâche sera difficile. Qu’elle se hâte ou qu’elle laisse à d’autres cette mission… » Pas un mot trahissant de