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l’aigreur, mais plutôt des paroles d’encouragement et de félicitation. Loin de nous bouder, les Anglais, comme on l’a vu, ont les premiers établi des rapports suivis entre Haï-Phong et Hong-kong, rapports qui atteindront une grande importance dès que de nouveaux comptoirs seront ouverts sur les côtes et dans l’intérieur.

Peu de personnes en France se doutent que les Espagnols bien plus que les Anglais sont nos compétiteurs au Tonkin. C’est donc principalement à l’Espagne que nous avons fait allusion lorsque, au début de cette étude, nous avons parlé des nations européennes qui seraient disposées à prendre la place qui nous est indiquée dans le cas où nous nous refuserions à l’occuper.

En raison de la proximité des îles Philippines, le plus beau des fleurons de la couronne d’Espagne, le Tonkin, depuis bientôt deux cents ans, est la vigne céleste qu’un nombre considérable de missionnaires espagnols viennent cultiver. Ils y ont jeté, avec le temps, de telles racines qu’ils comptent aujourd’hui vingt-quatre vicariats apostoliques répandus dans les provinces les plus riches et les plus populeuses. Comme les missionnaires français, les missionnaires espagnols ont eu là de nombreux martyrs ; cependant ils ont plus d’influence sur les Tonkinois que les Français. Cela tient à un esprit de tolérance et à une apathie de caractère chez les Espagnols qui s’allient très bien à la mollesse des indigènes. Nos trop ardens compatriotes inquiètent leurs néophytes.

Les missionnaires espagnols ont songé plus d’une fois à user de leur influence sur les populations catholiques pour les pousser à une révolte contre Tu-Duc, mais ils ont dû reculer devant l’impossibilité où est l’Espagne d’intervenir ou simplement de les aider. Ce serait tout autre chose si le gouvernement de Madrid n’avait pas à compléter, — après trois siècles d’occupation, — l’organisation de son archipel des Philippines. Il y a encore dans l’île de Luçon des tribus sauvages à soumettre, des villages à créer, d’immenses étendues sans routes à ouvrir et à reconnaître. Le croira-t-on ? C’est hier seulement, c’est-à-dire après Siam, Saigon, Hongkong et Singapore, qu’un fil électrique a uni cette splendide possession au monde civilisé. Dans de telles conditions, il est impossible que l’Espagne éprouve la moindre inquiétude au sujet de notre présence au Tonkin ; elle est toujours bien certaine, lorsque nous y serons installés, de se voir traiter, elle et les missionnaires qui s’y trouvent, de la façon la plus courtoise et la plus dévouée. La France ne pourra jamais oublier que sa noble alliée l’Espagne, lui a prêté largement, pour conquérir la Cochinchine, l’appui de ses brillans officiers et la bravoure de ses soldats tagales.

Il nous faut toutefois faire remarquer qu’au commencement de cette année une ambassade espagnole s’est rendue à Hué, où