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accompagnée de 160 éléphans et d’un train d’équipage. L’armée entière entretient huit cents éléphans environ, dont cent soixante sont toujours à Hué.

L’armement de l’armée cochinchinoise rappelle les plus mauvais armemens des régimens chinois. On y trouve le fusil à mèche, le fusil à pierre et même le fusil à tabatière, — on sait que mille fusils à tabatière furent donnés par la France au roi Tu-Duc avec cent canons, le 15 mars 1874. Mais, la plupart des soldats annamites n’ont que des piques de 8 pieds armées d’un fer de 6 pouces, des lances de 6 pieds terminées par un fer à demi-lune, des bambous taillés en flûte, des sabres et des boucliers ! Quant à l’habillement militaire, il diffère très peu de celui des civils ; il est plus sale cependant que celui de ces derniers, car le soldat annamite se couche par terre tout habillé ; son uniforme, orné de raccommodages multicolores, se compose d’une tunique serrée au corps par une ceinture d’une nuance tranchante. Les pantalons, très courts, laissent les jambes à découvert. Enfin, la coiffure consiste en un turban surmonté d’une petite calotte un peu pointue. Le soldat est si peu propre qu’on le voit s’entendre très bien avec la vermine qui le dévore.

L’armée annamite régulière, celle des linh-vê, se recrute dans la Cochinchine proprement dite, du Binh-Dinh au Nghô-An. Les autres provinces ne fournissent que les linh-có, soldats des bataillons provinciaux et qui ne sont pas employés à la garde de la capitale. Si l’armée annamite n’avait à défendre que l’Annam, peut-être, en se tenant sur la défensive, offrirait-elle quelque résistance ; mais en entrant dans le Tonkin pour le protéger contre nos attaques, elle s’y trouvera plus que nous en pays ennemi. La population du Tonkin lui est hostile, et l’élément tonkinois qui se trouve dans ses rangs sera pour le roi Tu-Duc plutôt un danger qu’un secours. Du reste, elle ne peut pénétrer de la province cochinchinoise de Thanh-Hoa dans le Tonkin que par deux défilés extrêmement faciles à défendre. Que l’on confie ces passages à deux compagnies d’infanterie de marine, et la route sera fermée.

Mais qu’attendre du soldat annamite lorsqu’on sait que, s’il est blessé, amputé d’une jambe, on lui donne, à titre de récompense, — et cela une fois pour toutes, — une ligature ou un franc ? Aussi, à l’approche du danger, il ne songe qu’à une chose, se mettre à l’abri des projectiles. Nous n’avons donc rien à craindre d’une armée en pleine décadence depuis qu’elle a perdu toute notion des règles imposées par les officiers français qui, à la fin du siècle dernier, relevèrent le trône du prédécesseur de Tu-Duc et l’aidèrent à conquérir le Tonkin. Sauf les régimens de la garde royale, soit huit à