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diplomatique, adroit, énergique, infatigable, dans l’intimité duquel la publication de M. Perrero va nous faire pénétrer.


III

Il y a déjà une vingtaine d’années que M. Camille Rousset, dans son Histoire de Louvois, avait indiqué les relations de Mme de Lafayette avec Marie de Nemours, veuve de Charles-Emmanuel II et régente de Savoie. On savait par lui qu’elle se chargeait de tenir la duchesse au courant des nouvelles et des on-dit de Versailles et de Paris, qu’elle avait accès auprès de Louvois et qu’elle agissait par le ministre sur le roi. Les divers documens nouvellement imprimés permettent de préciser davantage et d’observer l’ouvrière à l’ouvrage. Affaires d’état ou affaires de cœur, commissions d’objets de toilette ou surveillance de la presse française, l’activité de Mme de Lafayette rayonne dans tous les sens. Elle veille à tout, songe à tout, combine, visite, parle, écrit, envoie des conseils, procure des avis, déjoue des menées ; sans cesse sur la brèche et rendant plus de services à elle seule à la duchesse que tous les envoyés, avoués ou secrets, que celle-ci entretient en France.

La princesse pour qui elle s’employait ne méritait guère de tels dévouemens. Marie-Jeanne-Baptiste, demoiselle de Nemours, fille de ce duc de Nemours qui fut tué en duel, à Paris, par son beau-frère le duc de Beaufort (1651), et mariée en 1665 à Charles-Emmanuel II, duc de Savoie, était belle et séduisante, mais violente, mais faible, mais glorieuse, fantasque, imprévoyante, impérieuse. On peut trouver dans les mœurs du temps quelque excuse à ses aventures de cœur ; on ne lui pardonne pas d’avoir été mauvaise mère, froide et dure avec son fils, Victor-Amédée II. Elle se le faisait amener une fois le jour pour le gourmander, lui tendait d’un air sévère sa royale main à baiser, et le renvoyait. L’enfant sortait en s’essuyant les lèvres avec dégoût et ne voyait plus Madame Royale, — ainsi nommait-on la duchesse mère, — jusqu’à la prochaine mercuriale. Dans l’intervalle il entendait parler d’elle plus qu’il ne l’eût voulu. Elle était devenue régente par la mort de Charles-Emmanuel, en 1675, alors que son fils n’avait que neuf ans, et elle avait le tort de laisser l’amour intervenir dans la politique. Ses favoris, ou leur famille, tenaient les affaires de l’état entre leurs mains, et comme ces affaires n’allaient pas, sous la régence, au gré de la nation, les Piémontais se vengeaient par des médisances et même par des avanies publiques, que le petit duc n’ignorait point, qu’il comprenait à merveille et dont il était irrité et humilié au-delà de toute expression.