Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’intimité entre Madame Royale et Mme de Lafayette s’était formée en France, où Mlle de Nemours avait vécu dans une faveur éclatante à la cour d’Anne-d’Autriche. La grande Mademoiselle l’y avait connue et parle d’elle dans ses Mémoires d’une façon peu obligeante. Elle s’étonne que l’on fît tant de bruit des charmes de la duchesse et de sa sœur, la reine de Portugal. « Pour moi, dit-elle, je ne leur en ai jamais trouvé ; elles avaient toutes deux des têtes d’une épouvantable grosseur ; l’aînée (Madame Royale) était rousse, et l’autre blonde, un beau teint, mais des yeux et une bouche en bas ; l’autre de petits yeux. Enfin elles n’étaient pas belles, mais elles étaient fort ajustées, dansaient bien, avec de ces airs que je ne saurais trop bien expliquer, mais qui ne me plaisent point. » Mademoiselle avait des raisons, qui seront exposées en leur lieu, de haïr Madame Royale, que les autres témoignages s’accordent à représenter charmante dans sa fleur de jeunesse, avant que les mauvais procédés de son époux l’eussent gâtée en lui donnant des envies de représailles. Quoi qu’il en soit, très peu de temps après l’arrivée de la nouvelle duchesse à Turin (mai 1665), Mme de Lafayette était installée dans ses fonctions d’ambassadeur intime. Un M. Foucher, de cette race de confidens subalternes qu’on trouve mêlés, à cette époque, aux affaires de toutes les grandes maisons, écrivait le 28 octobre 1665 à Madame Royale : « Ayant aussi vu Mme de Lafayette, extrêmement entêtée de plaire à V. A. R. par des relations très exactes qu’elle se dispose de lui faire de tout ce qu’elle saura de la cour et d’ailleurs. » Ces « relations très exactes, » qui n’ont malheureusement pas été retrouvées jusqu’ici, prirent une importance beaucoup plus grande après que Madame Royale, devenue sous le nom de son fils maîtresse de la Savoie, put se livrer en liberté à son penchant pour la France et à ses inclinations galantes. Louvois cherchait à réduire le Piémont dans sa dépendance, et la régente lui résistait faiblement. D’autre part, Madame Royale, jalouse de sa réputation et dissimulant avec soin ses faiblesses, redoutait par-dessus toutes choses les mauvaises langues de Paris et de Versailles. Mme de Lafayette était chargée de l’informer de ce qu’on disait d’elle, de remonter à la naissance des bruits fâcheux afin de les étouffer, de répandre adroitement dans le public les opinions qu’il était désirable que l’on eût, et de faire parvenir à Louvois et au roi les explications, ou les demandes, que l’on ne jugeait pas à propos de confier aux agens réguliers. Cette tâche rendait indispensable qu’elle fût au courant des choses de la Savoie. Aussi Madame Royale l’instruisait-elle de tout et par plusieurs voies ; un correspondant complétait l’autre, et celui qui avait omis une particularité était tancé vertement. Le 9