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et je ne veux pas vous laisser croire que je vous croie ; ce qui vous raccommode avec moi, c’est que je crois que vous pensez fort bien que je ne vous crois pas. Pourquoi me contez-vous qu’on ne parle à Turin du retour de l’abbé de Verrue que depuis qu’il s’en est plaint ? On en parlait devant, car on en écrivait et on écrivait en détail parfait. Ne croyez pas aussi que je sois bien persuadée que vous ne parlez de cette affaire que fort superficiellement parce que vous n’êtes point instruit des affaires d’état. Ne venez point me tenter ni me faire parler sur les choses dont vous êtes instruit ; vous êtes fort bien instruit, monsieur, et, encore une fois, fort bien instruit, et je suis mieux instruite que vous ne croyez : ne venez point me conter de telles choses, et je ne vous dirai rien, mais quand vous voudrez m’en faire accroire, oh ! je ne le souffrirai pas ; entendez-vous bien cela ? »

Lescheraine s’était souvenu mal à propos qu’il faut savoir donner des couleurs aux choses que l’on raconte et les présenter au public « par le côté qui convient qu’on les voie[1]. »


IV

Les affaires de cœur de Madame Royale tiennent une grande place dans la correspondance entre son secrétaire et Mme  de Lafayette. Celle-ci voyait avec peine la faveur dont jouissait le comte de Saint-Maurice, bellâtre présomptueux, qui compromettait la régente par ses imprudences et son bavardage. « J’ai peur que notre ami ne fasse bien des folies, » écrivait Mme  de Lafayette, qui le connaissait et qui l’avait jugé. Lescheraine était si fort de son avis qu’il la pria d’user de son influence pour persuader à M. de Saint-Maurice de tenir une conduite plus convenable. Elle lui répondit :


« Ce 14e juin 1078.

« Je n’ai pas le loisir de vous écrire à mon aise : ce sera pour lundi. L’on donne des conseils, mon cher monsieur, mais l’on n’imprime point de conduite. C’est une maxime que j’ai prié M. de La Rochefoucauld de mettre dans les siennes. J’écris néanmoins, vous le verrez. »

Le favori était trop pétillant de vanité et de sotte gloriole pour consentir à ne pas afficher ses succès. Sa maîtresse justement indignée songeait à lui donner un successeur, le comte Masin, aussi sage et discret que l’autre l’était peu. Elle commença par écarter

  1. Lettre de Mme  de Lafayette du 12 mai 1679.