Saint-Maurice, qui poussa des cris d’aigle. « Mandez-moi, je vous prie, écrivait Mme de Lafayette, où est ce pauvre, chien de comte de Saint-Maurice ; il est fou, mais il fait pitié ; on l’aime plus qu’il ne vaut, car il n’aime rien. » Enfin il partit et reçût l’ordre de ne reparaître à la cour de Turin que marié, ce qui faisait encore dire à la comtesse : « Qui serait la malheureuse qui voudrait de lui ? J’aimerais mieux être aux galères que d’être sa femme. » La place vidée, Lescheraine se porta fort qu’elle ne serait plus remplie, soit qu’il le crût effectivement, soit qu’il cherchât, peut-être par ordre, à donner des couleurs. Mme de Lafayette, dans sa réponse, ne se montra point convaincue.
« Je vous ai trouvé si rassuré d’un ordinaire à l’autre sur un chapitre où il faut des années entières pour se rassurer, que je ne sais si vous m’avez parlé sincèrement : encore quand je dis des années entières, c’est des siècles qu’il faut dire, car à quel âge et dans quel temps est-on à couvert de l’amour, surtout quand on a senti le charme d’en être occupé ? on oublie les maux qui le suivent, on ne se souvient que des plaisirs, et les résolutions s’évanouissent ; je ne vous saurais croire si rassuré sur le Nisard[1] et sur d’autres dont vous ne m’avez point encore parlé ; je souhaite que vous n’ayez rien à me dire. »
D’autres, au pluriel. Elle ne s’en laissait décidément pas accroire. Lescheraine eut en effet beaucoup à lui dire, dans la suite, sur le Nisard et sur un « petit homme » qu’elle ne nomme pas et à qui « le bruit général » promettait le même bonheur. Elle avait là une partie de rôle bien ingrate, occupée à faire accepter des contes borgnes, et qu’elle savait tels, par la cour de France, le lieu du monde où l’on était le plus expert et le moins crédule en matière d’intrigues galantes. Ses efforts n’empêchaient point qu’on ne jasât, et Madame Royale tombait dans des inquiétudes et des émotions terribles[2].
Les gazetiers et les libellistes parisiens donnaient aussi beaucoup d’occupation à Mme de Lafayette, mais elle y avait plus de satisfaction, les gens auxquels elle avait affaire ne résistant point, pour la plupart, à de certains argumens. Dans ces occasions, elle agissait de concert avec l’ambassadeur de Savoie et ses agens, qui venaient chez elle, comme chez leur supérieur hiérarchique, apporter les nouvelles et recevoir des directions. Elle se trouva une fois en désaccord avec l’ambassadeur au sujet d’une satire contre la cour de Savoie. Le détail de ce conflit d’autorité nous a été conservé par