Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour soutenir l’origine saxonne « contre M. Du Bouchet, qui prétend la tirer d’un petit roy d’Arles. Ce serait une horrible plaie à la grandeur de la maison de Savoie de souffrir cette nouveauté là qui lui ôte la qualité de prince de l’empire. » À cette nouvelle, tous les agens de Savoie en France, du plus grand au plus petit, furent lancés contre ce « malhonnête homme, » ce « fripon » de Du Bouchet, que l’on menaça des étrivières, malgré ses quatre-vingt-trois ans, s’il ne supprimait sa Généalogie. L’ambassadeur communiquait au fur et à mesure les pièces à Mme de Lafayette, « dame de beaucoup d’intelligence et de jugement, » est-il dit dans un des rapports, qui mena la campagne et finalement arracha à Du Bouchet la promesse de ne pas imprimer son ouvrage.

Sa diligence et sa bonne tête ne se montrent pas moins dans la surveillance des journaux. Le gouvernement de Turin envoyait à Paris des articles que les gazetiers inséraient moyennant « quelque reconnaissance ; » reconnaissance était le mot discret et agréable usité dans ces sortes d’arrangemens. M. Perrero nous donne des prix : une bague à M. l’abbé Renaudot, qui fait la Gazette de Paris, pour se dédire de ce qu’il avait imprimé sur les affaires de Savoie ; une dizaine de pistoles au sieur Robinet, aide dudit sieur l’abbé. C’était pour rien, car outre le démenti que se donnait galamment M. l’abbé Renaudot, il acceptait que Madame Royale lui fît « envoyer règlement tous les ordinaires, toutes nouvelles que l’on jugera devoir être mises dans la Gazette. » De temps à autre il élevait un scrupule qui était aussitôt compris. « Il m’a voulu faire quelque difficulté, disait dans une dépêche Planque, l’un des agens de Savoie, touchant la qualité d’altesse royale. Je lui ai fait connaître que j’entendais son langage et l’ai assuré que je lui avais rendu justice auprès de V. A. R. et que j’espérais de lui donner bientôt des marques de reconnaissance[1]. »

Mme de Lafayette lisait les nouvelles et mémoires sortis de toutes les plumes indépendantes et tâchait à leur faire donner le ton juste. Lescheraine reçut d’elle, à ce propos, une excellente leçon de rhétorique. Il était un des principaux fabricateurs des articles expédiés de Savoie, et il croyait s’être surpassé dans le compte rendu d’une séance de l’académie de Turin où l’abbé de Saint-Réal avait prononcé un discours sur un sujet choisi par Madame Royale. Ce sujet n’était autre que l’éloge de Madame Royale, et il avait été réglé d’avance qu’il serait débité en séance solennelle devant Madame Royale. Dans ces circonstances, l’abbé de Saint-Réal n’avait pas ménagé l’encens. Lescheraine, piqué d’émulation, prodigua les fleurs et s’attira la lettre suivante :

  1. Dépêche du 22 juillet 1680.