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célébrer le mariage, de passer outre au défaut de dispense. Il le lui annonça par le billet suivant :


« 17 mars 1684,

« Vous devez compter, madame, que dans la vue de faire une chose que vous m’avez témoigné devoir être agréable, je ferai le mariage de Mademoiselle d’Orléans avec M. le duc de Savoie, quoique un ambassadeur ne m’en vienne pas prier en me portant la dispense accordée par le pape, sans laquelle je ne pourrais pas faire ce mariage. Faites-moi la justice de croire que personne du monde n’est plus absolument à vous que

« Le cardinal de BOUILLON. »


Le plus beau moment de Mme de Lafayette diplomate doit être placé après ce mariage dont elle avait facilité l’achèvement. Elle se surpassa pendant les longs démêlés de Victor-Amédée, sorti à grand’peine de tutelle, avec Madame Royale.


V

Le jeune duc de Savoie ne s’était pas délivré sans efforts et sans de pénibles froissemens des lisières qu’on prétendait lui laisser indéfiniment. C’était l’âme pleine de ressentimens qu’il commençait de gouverner. Il en voulait à sa mère d’avoir essayé de l’enfermer dans une minorité perpétuelle. Il n’avait pas oublié ses griefs d’enfant, son chagrin le jour où Madame Royale, par malice pure, avait fait détruire une forteresse en miniature construite par les ordres de son fils, qui se préparait à en faire le siège. Il frémissait et pâlissait au seul nom des favoris dont la honte avait pesé sur sa jeunesse. Son cœur était ulcéré de l’abaissement où était tombé le Piémont et dont il rendait responsable la politique française suivie par la régente. Tant de rancunes amassées dans un esprit dissimulé, inquiet, porté à la rigueur, ne faisaient rien présager de bon pour le jour où il serait en état de satisfaire ses haines. Madame Royale avait peur et implorait aide et protection à Versailles. Le péril était réel. Mme de Lafayette se multiplia.

Elle fut incomparable de souplesse, d’activité et de courage. Elle travaillait sans relâche à gagner à Madame Royale des protecteurs et des amis, contrecarrait les envoyés du duc, détruisait l’effet des dépêches officielles en opposant rapport à rapport. Les agens de Victor-Amédée la trouvaient partout sur leur chemin, les devançant auprès de Louvois, des princes, du roi ; quelque diligence qu’ils