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et l’effet peuvent se distinguer. À peine le cœur s’est-il entr’ouvert par la prière qu’il éprouve les atteintes de l’inspiration, comme le doigt ressent une brûlure quand il se met en contact avec le feu. La conséquence est immédiate, inévitable, nécessaire… Par l’inspiration, Dieu agit sur l’âme ; mais l’âme à son tour réagit sur Dieu : de là une suite d’actions et de réactions qui remuent l’âme dans ses profondeurs ; elle projette jusqu’à Dieu son amour, sa gratitude, son énergie, qui lui sont renvoyés avec un redoublement de grâce et de puissance. Ainsi, d’une union à peine sensible avec Dieu nous nous élevons graduellement à cet état d’inspiration où notre volonté s’absorbe complètement dans la Divinité. Heureux celui qui a réalisé cet état, ne fût-ce qu’une fois dans sa vie !… Par l’inspiration, l’homme de Dieu sent sa propre personnalité, qui fait place à la vie divine. Le vieil homme meurt et disparaît ; c’est un homme régénéré qui lui succède. Mais l’inspiration va même plus loin : l’esprit inspiré ne se contente pas de dépouiller le vieil homme et de revêtir un homme nouveau : il aspire à revêtir la Divinité. Oui, c’est avec la plus profonde humilité que je le déclare : il est possible à l’homme de revêtir la Divinité, lorsque notre moi est complètement absorbé dans la conscience divine, que nous ne sommes plus maîtres de nous-mêmes, que toutes nos pensées, nos paroles, nos actions sont le souffle même de l’Esprit-Saint. C’est le spectacle que nous offrent les grands prophètes des anciens jours : ils se sentaient forts de la force de Dieu, purs de sa pureté, et c’est à lui qu’ils faisaient remonter tout honneur et toute gloire. »

On retrouve bien dans ce langage entremêlé de tableaux extatiques et d’évocations ardentes qui rappellent les visions de Dieu chez nos mystiques du moyen âge, un descendant de la race contemplative et exaltée qui déifia la prière sous le nom de Brabma et soumit la volonté des dieux aux incantations des hommes. Sans doute, Keshub se défend de verser dans le panthéisme, qu’il accuse d’avoir « déshonoré Dieu et dégradé l’homme, » en sapant dans la société hindoue les fondemens de la morale et de la vraie religion : « Dans le panthéisme, dit-il, l’homme, avec toute son impureté, se figure qu’il est Dieu. Dans notre déisme, la volonté humaine purifiée se conforme tellement à la volonté divine qu’elle devient une avec elle. Le paradis du déiste n’est pas l’absorption dans l’essence divine, mais l’annihilation de l’égoïsme (ahankar). Au plus haut degré de l’inspiration, notre unique dogme se traduit par la parole : « Seigneur, que ta volonté soit faite ! » Il n’en est pas moins vrai qu’en assignant ainsi à l’homme, comme but suprême, l’union avec Dieu par le renoncement et l’extase, Keshub fournissait un dangereux aliment à l’esprit d’ascétisme et de contemplation si puissant chez